
Joyce Carol Oates a plutôt habitué son lecteur à de longs romans fleuves, et il est frappant de constater qu’un si petit livre puisse provoquer en quelques pages à peine un tel malaise.
« Nous sommes des bêtes et c’est notre consolation. »
Le cadre parait idyllique : un campus universitaire typique de la Nouvelle Angleterre dans les années 70, avec ses professeurs charismatiques, ses automnes romantiques et sa camaraderie solide. À vingt ans, Gillian est une étudiante brillante mais mal dans sa peau et influençable. Elle tombe amoureuse de son professeur de poésie, tout comme l’intégralité de celles peuplant ce campus entièrement féminin. Fascinée par sa culture littéraire et par son magnétisme, elle tente désespérément de lui plaire, de sortir du lot face à ces jeunes filles qu’elle trouve toutes plus féminines qu’elle. Elle s’efforce donc de suivre à la lettre les recommandations de ce professeur étrange qui conseille à ses étudiantes de tenir un journal intime, dans lequel elles devront consigner ce qu’il y a de plus intime : rêves, traumatismes, souvenirs dégradants, expériences sexuelles perverses…
« Le meurtre d’âme, ça existe (…) Sauf qu’il n’est pas visible comme l’autre. Il y a des gens mauvais. Il y a des gens cruels. Des gens qui devraient être punis. S’il y avait quelqu’un pour les punir. »
Alors que l’atmosphère se fait de plus en plus délétère, à mesure que tentatives de suicide, troubles alimentaires et incendies criminels semblent se multiplier, l’amour de Gillian pour son professeur tourne à l’obsession. Elle commence à suivre son épouse, une artiste sensuelle qui sculpte dans le bois des femmes d’une laideur dérangeante, et apprend que le couple accueille parfois dans leur foyer des étudiantes triées sur le volet. Désormais rien ne compte davantage que d’en faire partie. Le terrible engrenage est en marche tandis que se déploie un jeu de domination et de manipulation extrêmement malsain.
« Dans l’amour de loin, il faut inventer tant de la vie.
Dans l’amour de loin, on apprend les stratégies du détour. »
Mal et morale, rêve et fantasme, beauté et féminité, séduction et emprise… les frontières se brouillent et le récit se fait toujours plus oppressant, servi par la plume acérée de Joyce Carol Oates.
Ma note (3 / 5)
Éditions J’ai lu, traduit par Claude Seban, 7 octobre 2020, 128 pages
Je ne connaissais pas du tout ce titre de l’autrice. Je n’en avais jamais entendu parler. Il faut vraiment que je découvre sa plume !
Cette histoire dérangeante et intense me tente bien. Merci pour ton avis !