Où vivaient les gens heureux – Joyce Maynard

Élevée par des parents alcooliques et qui la considéraient comme une intruse dans leur intimité, orpheline à 16 ans, et faisant fortune quelques années plus tard en dessinant des livres pour enfants, Eleanor n’a qu’un but dans la vie : à vingt ans à peine, tout ce qu’elle souhaite c’est acheter une maison idéale pour construire une famille. La maison de rêve, une vieille ferme près d’une cascade, vient d’abord. Puis elle rencontre Cam, un immense roux insouciant qui travaille le bois et qui évoque des enfants le soir même de leur rencontre. Quelques mois plus tard, nait l’ainée Alison, suivie par Ursula et Toby. Alison est aussi mal dans sa peau qu’Ursula est démesurément généreuse et souriante, s’efforçant de contenter tout le monde. Toby quant à lui, est un enfant à part, doux et talentueux, énergique et passionné.

Je n’ai pas pu m’empêcher de dévorer le roman, et pourtant je ne suis pas plus emballée que cela. Cela tient essentiellement aux personnages, qui m’ont énormément agacée. Eleanor pour commencer, qui rejoue sa propre enfance et tente d’exorciser ses mauvais souvenirs en reportant ses frustrations sur ses enfants. Elle est démesurée en tout, avançant dans la vie comme si elle suivait la recette du bonheur parfait, s’offrant perpétuellement en sacrifice, quitte à pleurer ensuite sur les conséquences et jouer les martyres. Son mari, Cam, n’est guère mieux… Certes on ne parlait pas encore de « charge mentale » dans les années 70-80, mais il représente tout de même ce qui se fait de mieux en terme de désinvolture, abandonnant à Eleanor la charge de l’éducation et du financement du foyer, préférant regarder ses matchs de baskets et parcourir la nature en VTT. Finalement, le délitement du couple n’est guère une surprise pour le lecteur, tandis qu’une terrible tragédie finit par porter le coup de grâce à leur histoire d’amour. J’ai ressenti bien plus d’affection pour les enfants, dont la complexité est merveilleusement retranscrite, même si elle échappe la plupart du temps à leurs parents.

« Ils ne parlaient plus de leur ancien rêve d’avoir dix enfants, ni six, ni même quatre. Ils avaient l’impression de s’entrevoir dans la pièce, comme deux personnes qui se sont un jour rencontrées, longtemps auparavant, mais ne se rappelaient plus où. »

Par ailleurs, l’autre gros défaut du roman est l’omniprésence de répétitions, non seulement des mêmes réflexions sur la maternité et le couple, mais aussi de certains événements qui reviennent deux ou trois fois sans qu’on comprenne bien l’intérêt d’une telle redite. Les lieux communs sur le pouvoir du pardon, la vie qui n’est pas faite que de bonheurs, les enfants ingrats mais qu’on aime malgré tout… sont assénés encore et encore tout au long du roman, qui aurait grandement bénéficié de quelques coupes et réécritures. Les répétitions rendent le propos pour le moins peu subtil et ont échoué à réellement m’émouvoir. La seconde partie du roman est sans doute la pire, tant le récit s’englue dans une routine assortie des mêmes considérations amères d’Eleanor, sans qu’il n’y ait jamais réellement de ressort dramatique efficace, tandis qu’on a bien de la peine à ressentir une quelconque empathie pour la protagoniste, ce qui était pourtant vraisemblablement l’objectif poursuivi. Au moins la première moitié du roman captait davantage l’attention, racontant l’histoire d’une famille malgré tout attachante avec ses hauts et ses bas, ses traditions et ses souvenirs, jusqu’au fameux drame qui chamboula tout ce fragile équilibre.

« C’était son oeuvre d’art. Cette famille. »

Pour finir sur une note plus positive, j’ai en revanche beaucoup aimé l’inscription de cette histoire de famille dans un pan d’histoire (récente) américaine, englobant les débats autour de l’avortement, de l’identité sexuelle, de l’émancipation féminine, du sida, de la conquête de l’espace… Cela inscrit le récit dans une réalité qui nous rend les personnages proches, tandis que leurs émotions et leurs réactions aux événements qui les entourent font écho aux nôtres.

Ma note 2.5 out of 5 stars (2,5 / 5)

Éditions Philippe Rey, traduit par Florence Lévy-Paoloni, 19 aout 2021, 560 pages

 

Laisser un commentaire