Apeirogon – Colum McCann

« Mon nom est Bassam Aramin. Mon nom est Rami Elhanan. Je suis le père d’Abir. Je suis le père de Smadar. Je suis un Jérusalémmite de la septième génération. Je suis né dans une grotte près d’Hébron. Mot pour mot, silence pour silence, souffle pour souffle. »

Le dernier roman de l’écrivain irlandais Colum McCann est une expérience littéraire à part entière, et il parait dérisoire de tenter d’en donner un aperçu en quelques lignes, tant il est inrésumable.

Le récit retrace l’histoire de Bassam et de Rami. L’un est Palestinien, a été emprisonné à l’âge de 17 ans pendant sept longues années d’humiliations et de privations. L’autre est Israélien, fils d’un survivant de l’Holocauste, et a combattu pendant la guerre du Kippour. En plein conflit israélo-palestinien, on ne pourrait imaginer deux hommes plus diamétralement opposés. Et pourtant tous deux ont vécu le même drame : le décès de leurs filles à dix ans d’intervalle, toutes deux victimes de la violence aveugle qui sévit des deux côtés de la frontière. Comment réagir après une telle tragédie : la vengeance ? Bassam et Rami ont choisi la voie la plus difficile, celle de l’engagement et du dialogue, pour que d’autres parents ne connaissent pas un tel drame. Tous deux sont considérés comme des traîtres, et pourtant ils oeuvrent pour la paix, en racontant inlassablement leur histoire dans l’espoir de faire bouger les lignes.

« Il avait appris que le remède au destin était la patience. »

Le récit se place du point de vue des deux familles, ne prenant aucun parti si ce n’est le leur. Il raconte le deuil, la tragédie, l’injustice, et au milieu de tout cela, une magnifique amitié. Il offre une réflexion, leur réflexion, sur la situation insoutenable qui oppose encore Palestiniens et Israéliens, s’accordant sur un mal originel : l’Occupation. Le roman ne tombe dans aucune facilité, dans aucune catégorisation, mais avance bribe par bribe, qui mises bout à bout, forme un peu de l’Apeirogon de l’histoire de ces deux peuples : une figure géométrique complexe, au nombre dénombrablement infini de côtés, dont la situation actuelle est le fruit d’un nombre infini de faits, de décisions, de renoncements. La solution se trouve pour eux dans l’empathie, dans l’effort de s’intéresser et de comprendre l’autre pour briser le cercle vicieux qui se poursuit sur des générations et transforment en victimes les plus innocents.

« Si vous divisez la mort par la vie, vous obtenez un cercle. »

À partir des témoignages de Bassam et Rami, retranscrits au centre du roman, Colum McCann élabore un récit à la construction originale, suivant un rythme presque scandé. On a parfois l’impression d’être face à un kaléidoscope, ou bien à une prise de notes sans queue ni tête, tant la densité et la nature des chapitres alternent. Entremêlés aux histoires des deux hommes, se trouvent des éléments historiques, littéraires, philosophiques, scientifiques, politiques… plus ou moins anodins, mais toujours percutants. En refermant ces pages, j’étais partagée entre l’émotion qu’on ne peut manquer de ressentir, et un certain soulagement que cela s’arrête enfin. C’est un livre magnifique et d’une résonance folle, mais également très difficile à lire, d’autant qu’il est assez répétitif et que certains détails reviennent un peu trop chatouiller la sensibilité du lecteur.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

Éditions 10/18, traduit par Clément Baude, 19 août 2021, 648 pages

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