Pêcheur d’Islande – Pierre Loti

Dis quand reviendras-tu ?

« Et dans ce pays, même ce calme, même ces beaux temps, étaient mélancoliques ; il restait, malgré tout, une inquiétude planant sur les choses ; une anxiété venue de la mer à qui tant d’existences étaient confiées et dont l’éternelle menace n’était qu’endormie. »

1883, Paimpol. Dans ce petit village breton ancré dans la mer, on est pêcheurs de père en fils. Femmes, fiancées, mères, grand-mères, soeurs et cousines, ont l’habitude de ces longs mois d’absence, de mars à septembre, et meublent l’attente dans l’espoir de leur retour, anticipant la joie d’un hiver de retrouvailles. Sur l’un de ces bateaux envoyés sur les côtes d’Islande pêcher la morue, se trouvent Sylvestre et Yann ; liés par cette amitié fraternelle à la vie à la mort. Sylvestre est le plus jeune, tout juste dix-sept ans, déjà fiancé mais regardant toujours l’avenir avec des yeux d’enfant, naïfs et innocents. Il est attendu bientôt pour le service militaire, et doit se rendre en Asie pour cinq longues années, qui lui paraissent aussi effrayantes qu’interminables. Comme les autres marins il taquine Yann, géant inébranlable qui du haut de ses vingt-sept ans refuse d’entendre parler de mariage, racontant à qui veut l’entendre qu’il n’est promis qu’à la Mer. 

« Seule dans sa belle chambre, où entrait le jour blanchâtre de février, ayant froid, assise au hasard sur une des chaises rangées le long du mur, il lui semblait voir crouler le monde, avec les choses présentes et les choses à venir, au fond d’un vide morne, effroyable, qui venait de se creuser partout autour d’elle. »

Pourtant il y a une jeune fille qui espère son amour, qui guette chaque année ses retours au pays et un signe d’affection de sa part, en vain. Il s’agit de Gaud, une belle jeune fille, que l’on surnomme mademoiselle parce qu’elle a habité un temps à Paris et que ses toilettes et sa mine fière la distinguent des autres. Après un instant de tendresse lors d’un bal, Yann l’évite et se garde bien de dévoiler son coeur, au grand chagrin de Gaud qui pourtant refuse de perdre espoir, certaine que ce comportement énigmatique s’expliquera un jour et que Yann lui reviendra. Mais le destin est en marche et se joue des hommes. Les saisons se succèdent, immuables et inébranlables, et plane sans cesse cette angoisse lancinante : reviendront-ils ?

« Et la grande tombe des marins était tout près, mouvante, dévorante, battant les falaises de ses mêmes coups sourds. Une nuit ou l’autre, il faudrait être pris là-dedans, s’y débattre, au milieu de la frénésie des choses noires et glacées — ils le savaient… »

La plume de Pierre Loti, tout en délicatesse et en poésie, raconte le rude quotidien des pêcheurs, la solitude angoissée des âmes restées à terre, les landes bretonnes désolées et battues par les vents, et surtout cette mer, généreuse et furieuse, qui donne autant qu’elle réclame. L’existence est fragile, suspendue, faite de joies profondes et de sombres tristesses. On s’attache irrémédiablement aux personnages de cette histoire, si passionnés, simples, pudiques et touchants, tandis que l’on assiste à leurs drames intimes, le coeur gros. C’est à chaque fois un réel moment de grâce lorsque je découvre un roman d’une telle pureté et d’une telle beauté, et les dernières pages m’ont bouleversée. L’histoire d’amour qui est racontée dans ces lignes n’a rien d’exceptionnel de prime abord, et pourtant elle est universelle, si éternelle que l’on touche du doigt ce qui fait qu’un classique devient intemporel. Toute la splendeur du désespoir dans un si petit roman, cela tient de la magie.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

Éditions Livre de Poche, 1er février 1973, 224 pages

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