
« On flotte et on brûle en même temps … N’est-ce pas ainsi qu’elle a expliqué à sa fille les effets de l’amour ? »
Le roman s’ouvre sur une plage, dans le nord de l’Irlande. Katherine est une mère de famille en apparence comblée. Elle a quatre enfants débordant de vie, et est mariée avec un homme qui semble passionnément l’aimer, George, un ingénieur et pompier volontaire. Après avoir déballé le pique-nique, elle décide d’aller se baigner. Elle nage longuement, avant de se rendre compte qu’elle est allée bien trop loin, que la mer est trop froide, et qu’elle est à bout de forces. L’horreur est à son comble lorsqu’un phoque surgit à ses côtés : hypnotisée par son regard profond, n’osant ni se détourner ni s’approcher, la panique lui fait perdre tous ses moyens, tandis que ses pensées bourdonnent. Cette scène d’angoisse la tourmentera bien après que son mari soit parvenu à la ramener sur le rivage. Les heures, les jours passent, mais c’est comme si une brèche s’était ouverte : la revoilà replongée vingt ans en arrière dans ses souvenirs. Elle était alors chanteuse lyrique amateur, et déjà fiancée à George, lorsqu’elle tomba follement amoureuse du tailleur chargé de réaliser son costume de scène, Tom.
« Imprégnées de la mélancolie qu’engendre l’éphémère, elles ont de plus en plus conscience que leur monde est en train de changer. »
La narration alterne ainsi entre passé et présent, entre le Belfast de 1949 et celui de 1969, où les troubles sévissent avec de plus en plus de brutalité dans le nord de l’Irlande. Katherine s’efforce de remplir son rôle de mère de famille, guérissant les petits bobos, éloignant les cauchemars, et s’efforçant de protéger ses filles de la haine des catholiques qui gangrène leur quartier, tout en s’inquiétant pour George, appelé à toute heure par sa caserne pour secourir les blessés des attaques de plus en plus nombreuses dans les rues de la ville. Mais son esprit s’égare, revenant sur son amour interdit d’alors, sur le choix impossible qui lui a été imposé entre raison et passion, ainsi que sur le terrible drame qui en a découlé. La voilà tout à coup contrainte d’affronter les zones d’ombre de son passé, et de dénouer les fils de son existence aux côtés de son mari.
« Pour l’heure une sorte de paix est revenue. Mais quand le dégel arrivera après cet hiver, la glace subsistera. Épaisse, luisante, compacte, résistante. Après la fonte, la ville sera encore la proie d’un hiver sans fin. Et qui aurait pu s’en douter ? Qui aurait pu se douter que ce blanc mensonge si beau, en fondant, donnerait un noir aussi brutal ? »
C’est un joli roman, assez triste, et qui m’a agréablement surprise après ma lecture très décevante d’Edith et Oliver, même si j’aurais sans doute un même reproche à faire : une certaine superficialité dans le traitement des personnages et de leurs émotions. Je trouve qu’on reste beaucoup trop en surface, certains aspects intéressants sont abordés mais jamais approfondis, et j’aurais aimé que Michèle Forbes creuse un peu plus, et s’arrache un peu de cette froideur dans la description pour apporter davantage de psychologie et de relief à son récit. Ce bémol mis à part, c’est un roman tout en délicatesse, immensément poétique, frôlant parfois l’onirisme, et qui parvient à nous surprendre malgré l’apparente banalité du quotidien qui nous est montré. La romancière manie extrêmement bien la double tension qui se déploie dans le roman, d’un côté celle que l’on sent peser entre Katherine et George, et de l’autre celle qui agite dramatiquement les rues de Belfast. Porté par une plume riche et évocatrice, le roman aborde avec subtilité la mémoire, l’amour et les regrets, pour dresser un portrait de femme très émouvant.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions de la Table Ronde, traduit par Anouk Neuhoff, 10 janvier 2019, 368 pages