La Fracture – Nina Allan

« Une vie qu’elle aurait choisie aurait-elle mieux fonctionné que la vie qu’elle avait trouvée ? »

Le 16 juillet 1994, Julie Rouane, dix-sept ans, disparait sans laisser de traces. Fugue, enlèvement… la police explorera toutes les pistes avant d’abandonner l’enquête, faute d’indices. La disparition de Julie, et l’absence de réponse quant à ce qui lui est arrivé, ont transformé irrémédiablement la famille Rouane. Le père, Ray, ne se résignera jamais, et poursuivra toutes les pistes, y compris les plus farfelues, durant des années, jusqu’à y laisser la raison et la santé. La mère, Margery, déterminée à garder la tête hors de l’eau, s’éloignera progressivement de son époux et tentera d’oublier le passé. Quant à Selena, la soeur cadette de Julie, sa vie semble avoir été moulée dans l’absence de sa soeur, comme si elle ne s’autorisait pas pleinement à vivre sans elle. Elle a laissé partir son petit-ami à l’autre bout du monde, travaille pour une petite bijouterie tenue d’une main de fer par une Ukrainienne, et ne sait pas vraiment quelle orientation donner à son avenir. Un jour, le téléphone sonne : c’est Julie, qui refait surface plus de vingt ans après sa disparition. Déstabilisée, en proie aux doutes sur la réelle identité de cette femme qu’elle reconnait pourtant comme sa soeur, Selena n’est pas au bout de ses surprises lorsque Julie lui racontera enfin ce qui lui est arrivé, et le lecteur non plus.

« Il y avait eu les années de leur coexistence, et puis la fracture – l’éclatante exclusion, comme si leur intimité n’avait été que du vent, n’avait jamais existé. »

Il est impossible d’en dire plus sans gâcher le plaisir de la lecture, tant le roman multiplie les rebondissements. Très vite le récit m’a totalement décontenancée. Il y a non seulement une originalité folle dans ce roman qui nous entraine sur des pistes plus surprenantes les unes que les autres, mais également une intelligence rare dans la façon dont il est mené. Bien que le lecteur se trouve essentiellement aux côtés de Selena, éprouvant comme en miroir ce qu’elle peut ressentir au fur et à mesure que l’histoire se déroule, le mode de narration est parfois un peu accidenté, mêlant au fil principal des bribes de témoignages, d’articles de presse, de documents scientifiques…, mais également des styles différents, du plus froid au plus lyrique. Tout ceci donne énormément de relief et d’épaisseur au roman, dans lequel on ne peut que se plonger avec une passion effrénée. L’intrigue acquiert une richesse incroyable, entrainant le lecteur de surprise en surprise, sans qu’on ne puisse réellement deviner jusqu’où cette histoire va mener. Les personnages sont par ailleurs une grande réussite, chacun comportant ses faiblesses et sa part d’ombre, ce qui fait qu’on ne parvient jamais réellement à les saisir entièrement.

« La folie était une maladie, après tout, une chose qu’on pouvait traiter avec des médicaments et surveiller dans un hôpital. Le chagrin, ça ne se guérissait jamais, alors autant ne pas en parler. »

Le récit aborde une pluralité de thématiques. Le deuil et la résilience en premier lieu, en particulier lorsque le sort de l’être aimé est inconnu. La vérité également, celle des faits, celle des émotions, celle qu’on choisit et celle qu’on croit. L’intimité du cercle familial, l’indifférence de la société, la difficulté à communiquer et à connaitre véritablement ceux que l’on aime le plus. Il constitue également une exploration fascinante du travail fictionnel de l’écrivain. C’est véritablement une expérience à part entière, un roman dominé par une atmosphère étrange, où règnent l’ambiguïté et le doute, et impeccablement maitrisé de bout en bout par son autrice. Le souffle ne retombe jamais, c’est une parfaite réussite et un roman tout à fait à part.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions 10/18, traduit par Bernard Sigaud, 18 mars 2021, 456 pages

Un commentaire sur “La Fracture – Nina Allan

Laisser un commentaire