
Résumé :
Belfast, 1906. Edith tombe follement amoureuse d’Oliver, un illusionniste ambitieux qu’elle croise un soir de fête trop arrosée et retrouve le lendemain sur scène, où elle doit l’accompagner au piano. Mais c’est sur la jetée de Dun Laoghaire, bien des années plus tard, que s ‘ouvre le roman. Edith y attend, avec sa fille, le bateau qui les emmènera en Angleterre et contemple à regret le pays où elle laisse son mari après avoir tout tenté pour le sauver de ses démons et le soutenir à une époque où le music-hall pâtit de l’arrivée du cinéma.
Mon avis :
Voilà un roman qui n’a pas réussi à me toucher. C’est l’histoire d’un couple, Edith et Oliver, qui se rencontrent lors d’une soirée trop arrosée. Très vite ils se marient et ont deux enfants, des jumeaux : un garçon, Archie, et une fille, Agna. Le bonheur est de courte durée pour Oliver qui passe son temps en tournée loin de sa famille. Il y a beaucoup de longueurs concernant ces tournées, et les différents numéros exécutés par l’illusionniste, qui personnellement m’ont vraiment ennuyée.
« Une fine pluie matinale derrière la fenêtre de la cuisine. Un vent lointain. Des feuilles humides déposées tels des baisers sur le perron de la maison. »
Il me semble que Michèle Forbes avait surtout envie de montrer l’envers du décor du music-hall : la cruauté des producteurs, la concurrence du cinéma, la facilité avec laquelle on peut être remplacé par quelqu’un de plus jeune et de plus innovant. Mais ce faisant, elle s’égare dans des détails sans importance, se répète énormément, et omet d’approfondir certains aspects qui auraient pu rendre son roman plus complexe, et psychologiquement plus fin. Ainsi par exemple Oliver rencontre-t-il lors de l’une de ses tournées une dénommée Eurielle Hope, un travesti, une femme magnifique avec une pomme d’Adam sur laquelle il ne cesse de s’interroger et de croiser sans qu’on en sache davantage. C’est étrange mais trop superficiel, et on aurait aimé en savoir davantage : quel est le rôle d’Eurielle dans l’histoire ? pourquoi son apparition est-elle récurrente si elle n’apporte rien ? est-elle réelle ou une illusion ? On ne saura pas, et si ce genre d’ellipse peut parfois servir un récit, en l’occurrence on a l’impression que ce personnage s’est retrouvé là sans réel but.
De même, j’ai trouvé Agna, la fille d’Edith et Oliver, très touchante, et j’aurais aimé que l’auteure s’attarde sur sa personnalité, sur sa complexité, sur sa relation avec son père. C’est une jeune fille un peu évanescente, qui a décidé de ne pas parler. Ou plutôt qui ne parle qu’à son jumeau, et parcimonieusement à sa mère. Elle n’a jamais adressé la parole à son père. Pourquoi ?
« Elle a dit que sa tête était une prison de mots très froide et que la première fois où elle avait vu la neige les mots emprisonnés dans sa tête avaient commencé à fondre exactement comme les flocons qui tombaient autour d’elle. Et elle s’est sentie libre et délivrée de la peur. »
Cette relation père-fille est belle, et on sent le potentiel qu’il y aurait à creuser un peu plus, d’autant qu’on sent qu’il y a un lien avec l’enfance d’Oliver. Une enfance marquée par la mort de sa mère dans un accident. Une drame terrible qui marquera sa relation avec son père et son frère, et par voie de conséquence sa vie entière. Un frère absent de la vie d’Oliver, et dont la réapparition m’a semblée bâclée, tant il y avait de l’attente dans cette réunion des deux frères séparés dans leur jeunesse et menant à présent des vies diamétralement opposées. De manière générale, il y a beaucoup de personnages secondaires intéressants, mais qui sont totalement éclipsés par Oliver, dont il est quasiment uniquement question tout au long du roman. D’ailleurs, on se demande pourquoi le titre est « Edith et Oliver » tant Edith est elle-même mise de côté. Une femme de l’ombre, ayant renoncé à ses rêves, élevant seule ses enfants, attendant désespérément que son mari revienne de tournée, et faisant preuve d’une patience infinie devant ses élucubrations déraisonnables. Mais ni Edith ni Oliver ne sont des personnages particulièrement attachants. Leur relation est très creuse et on peine à comprendre ce qui les unit. Oliver occupe au sens propre comme au figuré le devant de la scène, et je l’ai trouvé particulièrement antipathique. C’est le cliché de l’artiste maudit, incapable de renoncer à son rêve, incapable du moindre effort envers sa famille, sombrant de plus en plus dans l’alcoolisme et ses délires de grandeur.
« Il a horreur de ça. Il a horreur de la nuit. Il a horreur de s’endormir. Il a horreur de ne pas s’endormir. Plus encore, il a horreur de penser à ce que sera son réveil. Il redoute d’ouvrir les yeux sur un monde qui aurait changé du tout au tout. »
Finalement, il m’a semblé que tous ces aspects que l’on pourrait qualifier de « psychologiques » étaient survolés par l’auteur. C’était certainement délibéré de sa part, mais c’est justement cela qui me touche dans un roman : l’épaisseur d’un personnage, la profondeur d’une relation. La lente déchéance d’Oliver n’a pas de sens pour moi sans ces éléments, elle ne reste que très factuelle, décrite par une série d’événements mis bout à bout et qui manquent de liant. J’ai trouvé la fin du roman bien plus réussie, justement parce qu’elle mettait davantage en lumière Agna, mais cela n’a malheureusement pas suffi à changer mon avis sur cette lecture. Dommage…
Ma note (2,5 / 5)