
Quel plaisir de retrouver la plume d’Edith Wharton ! Il est amusant et intriguant de constater à quel point ce roman peut se lire comme le pendant optimiste de Chez les heureux du monde. Susy Lansing est en effet du même acabit que Lily Bart : toutes deux sont jolies, intelligentes mais désargentées, et par là même prêtes à tout pour continuer à bénéficier des faveurs et des fastes de la haute société new-yorkaise. Leurs destins néanmoins, sont diamétralement opposés en raison d’une seule décision divergente. Publié en 1922, soit près de vingt ans plus tard, la romancière a peut-être ici souhaité se racheter quelque peu auprès de cette héroïne si malmenée qui lui avait valu sa renommée.
« Mais ma chère, c’est l’éphémère de notre coeur qui fait le charme de nos passions ! »
Nick et Susy évoluent tous deux dans la haute société new-yorkaise, profitant des largesses de leurs riches amis. Nick est un écrivain en devenir, cherchant l’inspiration et se contentant de sa vie étriquée dans un petit appartement. Susy virevolte d’invitations en invitations, de cadeau en cadeau, et s’extasie de cette vie faite de facilités et de luxe. Lorsqu’ils se rencontrent, ils se plaisent immédiatement mais ont aussi tout à fait conscience de l’impossibilité d’une union entre eux : de quoi vivraient-ils ? Susy propose alors un arrangement astucieux : s’ils se mariaient, ils auraient de quoi vivre durant un an, en comptant sur les cadeaux de mariage et sur la générosité de leurs amis qui se bousculeront sans doute pour leur prêter leurs villas. Convaincus que le mariage les rendra tous deux bien plus attrayants, ils décident de s’entraider afin que chacun d’eux trouve un parti plus intéressant. Le comble du cynisme en somme… Ce qu’ils oublient un peu vite, c’est leur attirance mutuelle et leur désir inavoué de construire une vie à deux. Mais les sollicitations affluent déjà, et les premières dissensions entre les jeunes mariés apparaissent à mesure qu’ils réalisent qu’ils ne sont pas prêts aux mêmes compromissions, ni soumis aux mêmes contingences matérielles.
« Les yeux du souvenir lui disaient qu’elle lui devait bien plus que l’éclat doré de son bonheur et de la joie sensuelle qui avait inondé son cœur et son corps. Oui, elle lui devait aussi la floraison dans la douleur, l’enfantement, de quelque chose de plus grave, de plus fort, de plus riche en promesses de puissance, quelque chose à quoi elle avait à peine prêté attention dans la griserie de ses premières extases, mais qui était toujours revenu et qui possédait encore son âme soudain sereine lorsque se dissipait l’ivresse. »
J’adore l’oeuvre d’Edith Wharton, mais je dois avouer que peu de ses romans parviennent à se mesurer à mon coup de coeur foudroyant pour le chef d’oeuvre qu’est Chez les heureux du monde. À nouveau, il manque dans La splendeur des Lansing la même finesse dans les caractères, la même élégance dans la plume, et sans doute l’absence du tragique de la destinée du personnage féminin ôte-t-elle quelque peu de sublime au roman. Si on n’y retrouve pas la cruauté dont Edith Wharton a pu faire preuve dans d’autres de ses romans envers ses personnages, en particulier féminins, son cynisme mordant lorsqu’elle dépeint les moeurs de la haute société américaine y est intact, bien que ses leçons de morale et de bien-pensance soient parfois assez peu subtiles. Il n’y a rien de plus divertissant que de voir la romancière se moquer de ce monde si superficiel, si attaché au pouvoir de l’argent et des apparences, au mépris de l’intelligence et de l’amour. Parmi ces considérations se dessine une jolie histoire d’amour pour laquelle le lecteur prend fait et cause, observant ces personnages en quête d’identité, de sens mais aussi de liberté, recevoir leur leçon de vie. Un roman qui ne manque pas de charme !
Ma note (3,5 / 5)
Éditions J’ai lu, traduit par Sophie Mayoux, 3 mars 2003, 320 pages