Journal d’un jeune naturaliste – Dara McAnulty

« Apparemment, les gens n’appréciaient la nature que de loin – les fleurs de cerisiers et les feuilles d’automne étaient magnifiques sur les arbres, à leur place, mais déjà beaucoup moins belles quand elles tombaient, tout humides et flétries, sur les pelouses ou la cour du collège. Les escargots étaient une abomination. Les renards, des animaux nuisibles, les blaireaux, des dangers publics. Toutes ces idées bizarres tournoyaient autour de moi pareilles à une toile d’araignée, jusqu’à m’ensevelir. J’étais la mouche crispante et eux, ils contrôlaient tout. Ils contrôlaient la vie de la nature, ils me contrôlaient. Mais les choses qu’on aime donnent de la joie, donnent une force grâce à laquelle je commence à résister, à reprendre la maîtrise, intensément et en toute justice. Allongé sous le chêne, je sens sous la terre le regain de force, je sens les racines s’enrouler autour de moi, une énergie infatigable qui nourrit mes ardeurs. »

Dara McAnulty est un jeune naturaliste nord-irlandais de quatorze ans, qui nous livre son journal le temps d’une année. Une année forte en chamboulements puisque sa famille déménage à l’autre bout du pays. Un déménagement inquiétant pour Dara, qui est autiste et craint de perdre tous ses repères, mais qui témoignera également d’un changement d’environnement, propice à de nouvelles explorations de la nature, et en particulier des oiseaux pour lesquels il se passionne. Au fil des saisons, Dara nous raconte ainsi son quotidien, sa famille d’exception, leurs promenades, ses observations minutieuses d’oiseaux dont certains se sont faits de plus en plus rares au fil des années. Mais il nous fait part également de ses difficultés relationnelles, de la façon dont il a dû apprendre à apprivoiser son autisme afin de se faire au mieux une place dans la société. La nature occupe à ce sujet une place fondamentale : c’est elle qui lui a apporté les repères indispensables, qui lui offre un refuge, lui permet de se ressourcer et de se libérer de ses angoisses. Son journal montre bien à quel point son combat pour la cause environnementale se double de celui qu’il mène pour canaliser ses émotions, se dépasser constamment en réalisant des choses dont il ne pensait pas être capable.

« Moi, je ne m’entremêle pas avec les gens mais avec les éléments, avec la nature et c’est devenu indissociable de ma vie au quotidien, de mon histoire personnelle. »

J’ai beaucoup aimé sa manière de retranscrire sa perception des choses. Il se sert de son expérience, de ses émotions, sans « régurgiter » des poncifs ni des passages entiers de manuels d’ornithologie. Contrairement à ce que je craignais un peu au départ, son récit est loin d’être rébarbatif, et j’ai été étonnée de la fluidité avec laquelle on lit son journal, malgré les descriptions de paysages et les énumérations d’oiseaux. Ces dernières s’inscrivent si bien dans son quotidien, dans ses réflexions toujours pertinentes, qu’elles forment un ensemble cohérent et équilibré. Très vite, ma sensibilité s’est mise au diapason de celle du jeune auteur, et mon immersion a été complète. La grande force de son récit est non seulement qu’il révèle à quel point la nature est un ancrage pour lui, mais à quel point elle devrait l’être pour chacun de nous. Dara McAnulty, en rappelant certaines légendes irlandaises, certaines périodes historiques, et comment la nature a cohabité harmonieusement avec l’homme durant des siècles, démontre comment progressivement nous nous sommes désolidarisés de l’environnement dans lequel nous évoluons. Une déconnection qui a eu des impacts dramatiques sur la nature, mais aussi sur notre mode de vie.

« Remarquer la nature, c’est le tout premier pas. Ralentir l’allure pour écouter, observer. Prendre le temps, malgré les montagnes de devoirs. Ménager de l’espace dans le temps pour s’arrêter et contempler. »

Ce qui m’a frappée également, c’est la place de l’autisme dans ces pages. Ce livre est présentée comme le récit d’un naturaliste autiste, et la précision est importante, puisque l’auteur lui-même raconte ses débats intérieurs, ses frustrations, ses angoisses, le harcèlement et l’incompréhension dont il a été victime. Mais finalement, je n’ai pas trouvé son autisme déterminant dans son propos. Il est à l’origine d’une difficulté à communiquer ce qui lui tient à coeur, son combat pour l’environnement et les oiseaux en particulier, le portant à se tourner vers les réseaux sociaux et l’écriture, dans lesquels il se sent plus à l’aise pour faire passer ses messages comme il le souhaite. Mais ce qui transparait dans ces pages, c’est surtout le courage de ses convictions, ainsi qu’une grande intelligence et sensibilité, peut-être exacerbée, mais dans laquelle nous pouvons tous nous retrouver. La jeunesse de l’auteur m’a parue bien plus significative. Penser qu’il a écrit ce récit à l’âge de quatorze ans a de quoi donner le vertige tant c’est puissant et réfléchi.

« Dans un monde aussi rapide, aussi compétitif, il est indispensable de nous sentir enracinés. Il est indispensable de sentir la terre et d’entendre les oiseaux chanter. Il est indispensable d’utiliser nos sens pour participer au monde. Peut-être, à force de nous taper la tête contre un mur de briques, celui-ci finira-t-il par s’écrouler. Et peut-être pourrons-nous utiliser ces décombres pour reconstruire quelque chose de mieux, de plus beau, en lâchant la bride à notre propre nature. Vous imaginez ça ? »

J’ai adoré ce livre de nature writing qui vibre de la colère, de l’amour et de l’espoir de ce jeune garçon. C’est merveilleusement écrit, érudit sans tomber dans l’encyclopédique, et d’une grande poésie. Le temps de quelques pages, il nous rappelle à quel point il est important d’être attentif à la nature, de trouver des passerelles entre elle et notre civilisation afin que les deux puissent coexister, de revenir aux fondamentaux : le passage des saisons qui ont chacune leur raison d’être ; la contemplation des merveilles qui nous sont données à voir ; le silence des grands espaces préservés ; le respect d’un écosystème qui nous préexistait. Il y a une grande sagesse chez Dara McAnulty, et je suis à la fois admirative face à cette jeune génération déterminée à relever les défis environnementaux ; et triste dans le même temps de constater leur solitude et la faible répercussion concrète de leur colère. C’est bien tout l’enjeu de ce livre.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Gaïa, traduit par Laurence Kiefé, janvier 2021, 240 pages

2 commentaires sur “Journal d’un jeune naturaliste – Dara McAnulty

  1. Merci beaucoup Charlotte. Je suis passionnée des arbres et de forêts et ton commentaire m’a donné très envie de lire le récit de Dara.

  2. Je retiens le titre de ce livre atypique qui, je pense, pourrait bien me plaire. L’autisme est un sujet qui m’intéresse beaucoup et l’aborder sous la forme d’un roman de « nature writing » m’intrigue encore plus. (Petit bonus pour la couverture que je trouve très jolie).

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