Les Grandes Espérances – Charles Dickens

Le roman s’ouvre dans un cimetière : un jeune garçon se recueille sur la tombe de ses parents, dont il cherche à imaginer les traits, lorsqu’il est brutalement interrompu par un forçat évadé, les fers encore au pied. L’homme ordonne à l’enfant de lui apporter une lime et un repas, et prend bien soin de le terroriser lors d’une confrontation qui oscille entre comique et tragique. Voilà de quoi donner le ton du roman. Pip, notre narrateur et héros est donc orphelin, et a été élevé « à la cuillère » par une soeur tyrannique et violente. Heureusement, le mari de celle-ci, Joe, un humble forgeron, est d’un grand réconfort. S’il n’est pas un rempart efficace contre les coups de la maitresse de maison, il offre au jeune garçon une oreille attentive, une camaraderie chaleureuse et une amitié sans failles. Leur relation est si forte qu’il est entendu depuis des années que lorsque Pip sera en âge, il entrera à la forge comme apprenti. Une existence toute tracée jusqu’à ce qu’une vieille dame riche des environs, Miss Havisham, émette le caprice soudain de faire venir Pip chez elle et de lui présenter sa jeune protégée du même âge, la jolie et méprisante Estella. Le monde de Pip bascule alors, son univers à la forge lui parait bien trop étriqué, et il se met à rêver à ce que pourraient être ses Grandes Espérances.

« À mesure que je m’étais habitué à mes espérances, j’avais insensiblement commencé à remarquer l’effet qu’elles produisaient sur moi-même et sur ceux qui m’entouraient. Je dissimulais dans toute la mesure du possible à ma propre conscience leur influence sur mon caractère, mais je savais fort bien que cette influence n’était pas entièrement heureuse. »

Nous retrouverons bien souvent au cours du roman les trois personnages ayant marqué ainsi l’enfance de Pip. Joe, illettré mais doté de l’intelligence du coeur, l’ami fidèle et inébranlable, prêt à s’effacer pour le bonheur de Pip. Miss Havisham qui erre dans sa robe de mariée et persiste à vivre dans les ruines d’une cérémonie qui n’a jamais eu lieu, vouant aux hommes une haine farouche et revancharde. Elle a modelé Estella dans un dessein bien précis, faisant de la jeune fille une beauté de glace qui refuse de se laisser émouvoir par quoi que ce soit. Pip connaîtra bien des tourments à cause de ces deux femmes. Je ne m’appesantirai pas, pour ne pas trop en dire, sur d’autres personnages, certains plus attachants que d’autres, qui feront leur entrée et marqueront l’existence de Pip. Il me suffit de dire qu’aucun n’est secondaire ou anecdotique, et qu’ils sont tous brossés avec tant de détails qu’ils nous paraissent incroyablement familiers.

« Je me rendis compte avec tristesse, à mainte et mainte reprise, et même presque toujours, que je l’aimais contre la raison, contre les promesses d’avenir, contre la tranquillité, contre l’espoir, contre le bonheur, contre tous les découragements possibles. Je le déclare une fois pour toutes : je ne l’en aimai pas moins pour autant et ma lucidité n’eut pas plus le pouvoir de me freiner que si j’avais cru du fond du coeur qu’elle était la perfection incarnée. »

Les Grandes Espérances est le roman d’apprentissage par excellence. Nous suivons un jeune héros, de sa petite enfance jusqu’à l’âge adulte, qui fait l’expérience de la vie et des grands événements qui peuvent jalonner l’existence : amour, haine, mort, déceptions, conflits et révélations. Quelles leçons le jeune Pip va-t-il tirer de toutes ses péripéties, de ses rencontres et des découvertes qu’il va faire ? Le roman fait par ailleurs réfléchir à la destinée, aux conséquences des décisions, à l’accomplissement personnel. Les Grandes Espérances convoitées par le jeune Pip vont-elles lui apporter le bonheur ? Quelle influence a -t-il sur son propre destin ? Pip se perdra de nombreuses fois en route, et s’apercevra bien vite que ses rêves ont peu de choses à voir avec la réalité, faisant ainsi l’expérience de l’adversité.

« Et comment aurais-je pu la contempler sans compassion, en voyant son châtiment dans la ruine qu’elle était devenue, dans sa profonde inadaptation au monde dans lequel elle était placée, dans la vanité d’un chagrin qui était devenu une idée fixe, comme la vanité de la repentance, la vanité du remords, la vanité du sentiment d’indignité et d’autres vanités monstrueuses qui ont été autant de malédictions ici-bas ? »

Qu’il est difficile de résumer ce roman foisonnant et assez indescriptible. Je ne peux pas dire que qu’il ait été réellement un coup de coeur, mais il restera un roman incroyablement marquant, et qui a suscité chez moi tout au long de la lecture bien des réactions. Ce qui m’a frappée, dès les premières lignes, c’est l’inégalable et incomparable style de Dickens. Sa plume est recherchée, précise, intrinsèquement mais subtilement comique, et bien sûr splendide. J’ai eu du mal à m’attacher réellement aux personnages, y compris à Pip, mais contrairement à d’autres romans, cela m’a paru de bien peu d’importance. En effet, nombreux et divers, ils sont l’essence du roman et c’est précisément leurs vices, leurs faiblesses, leur noirceur qui contribuent à l’histoire et au cheminement du héros. Pip va vite apprendre que les apparences sont trompeuses, que les psychologies sont bien plus profondes et dissimulées qu’il n’y parait, que les qualités humaines les plus appréciables ne sont pas celles qu’il avait anticipées. J’ai adoré la densité du roman et des réflexions dont il est porteur, qui nécessite une lecture attentive et une certaine disponibilité. Les grandes espérances deviennent fatalement de grandes désillusions, et on sent bien que Dickens nous révèle dans ce roman une petite portion du sens de l’existence et de l’importance de la résilience.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Folio, traduit par Sylvère Monod, 26 mai 1999, 752 pages

2 commentaires sur “Les Grandes Espérances – Charles Dickens

  1. Je suis justement en train de le lire. Je fais un lien direct entre Noël et Dickens, je ne sais pas pourquoi…
    Mais comme tu le soulignes si justement sa plume est splendide et puis c’est un tel conteur (d’où peut-être cette association à la magie de Noël et à ses contes dont j’avais un recueil enfant)

    1. Je te rassure tu n’es pas la seule, Dickens est irrémédiablement et universellement lié à cette période en raison de ses contes de Noël, qui ont d’ailleurs largement contribué à incorporer un certain nombre de traditions de Noël en Grande-Bretagne (et ailleurs)

Répondre à Charlotte ParlotteAnnuler la réponse.