
À la fin des années 1960, dans le Nord canadien où l’hiver ne pardonne pas la moindre erreur, une famille dysfonctionnelle tente désespérément de sortir la tête de l’eau. Tout commence, ou plutôt tout dégringole, lorsque la seule fille d’une famille de sept enfants, Megan, décide à 21 ans de quitter le domicile familial pour tenter sa chance à Londres. Si elle met un océan entre elle et les siens, c’est que la jeune fille est lasse de servir de mère de substitution. Elle a porté la famille à bout de bras toute sa vie, gérant l’intendance, le ménage, l’éducation de ses frères. Aujourd’hui, craignant de se trouver enfermée pour toujours dans ce rôle chronophage et peu flatteur, elle estime qu’il est grand temps de penser à elle. Dans ce récit à trois voix, nous seront donc racontés l’arrivée et le quotidien de Megan à Londres, puis, par Edward, le père, et Tom, le grand frère, ce qu’il advint des membres restants de la famille au Canada. Les deux hommes, incapables de se parler et de s’occuper du foyer, se contentent de laisser les choses s’enliser, plongés chacun dans leurs tourments personnels. Edward s’interroge sur sa capacité à être père à mesure que des souvenirs désagréables de son enfance refont surface. Quant à Tom, un événement dramatique a chamboulé toutes ses certitudes, et le revoilà revenu sur les lieux de son enfance, incapable de se projeter dans l’avenir. Aucun d’eux ne peut compter sur Emily, la mère de famille, qui continue à faire enfant sur enfant, obsédée par les bébés, délaissant ceux devenus trop grands. Dès lors, le frigo se vide, la saleté s’installe, et on survit tant bien que mal, regrettant la soeur partie découvrir la vie.
« Rêves de jeunesse. Ils me paraissent tragiques puisqu’ils supposent que nous sommes maîtres de notre destin. »
Il ne se passe pas grand chose dans cette chronique familiale, et pourtant, grâce à l’introspection de nos trois narrateurs, on passe avec eux par toute une palette d’émotions. Je dois avouer avoir souvent ressenti une certaine irritation vis-à-vis des personnages, leur inertie et leur égoïsme, en particulier les parents dont le comportement et le détachement font enrager. Mais on finit par s’attacher à cette famille bancale malgré ses faiblesses. Se pose dans ces pages la question de l’épanouissement individuel, de l’impossible affranchissement du passé, ou encore de la force de l’attachement familial. Mais aussi et surtout, du poids et de la responsabilité des parents dans la consolidation d’une famille ainsi que la construction individuelle de ses membres. Emily comme Edward ont abandonné chacun à leur façon leurs enfants, négligeant tous leurs devoirs, de la simple subsistance alimentaire au réconfort moral, en passant par la garantie d’une cadre de vie salubre et cohérent.
« Trois cent soixante-quatre jours par an, les membres de sa famille lui semblaient tellement éloignés dans l’espace et le temps qu’ils auraient pu être des personnages de roman. Pourtant, dès qu’elle entendait leurs voix, ils étaient proches à un point pénible, agaçant, douloureux, et elle avait l’impression de n’avoir jamais quitté la maison. »
Ce roman m’a plu sans que je sache exactement pourquoi. Certainement pas pour la plume qui n’est pas mémorable ni pour la finesse psychologique avec laquelle sont dépeint les personnages. En réalité malgré tous ses bas et ses tares, cette famille a quelque chose de réconfortant, de profondément humain. Chacun de ses membres se débat sous nos yeux avec ses traumatismes, ses ambitions, et surtout avec ses relations aux autres. Tous à leur façon rejettent cette famille foncièrement insatisfaisante et dans laquelle rien ne se passe comme prévu, et pourtant tous finissent par y revenir. En dépit d’une fin assez insatisfaisante, j’ai passé un très bon moment de lecture, totalement dépaysant et très émouvant.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions 10/18, traduit par Michèle Valencia, 21 janvier 2016, 384 pages