Quatre lettres d’amour – Niall Williams

J’ai eu beaucoup de mal à me forger une opinion sur ce roman, même après avoir tourné la dernière page. C’est l’exemple typique d’une lecture inspirée par la quatrième de couverture, et pourtant celle-ci non seulement induit en erreur, mais en raconte trop. Je me suis méprise sur ce que j’allais lire, et je ne faisais qu’attendre cette fameuse rencontre annoncée entre les deux personnages dont l’enfance se déroulait sous mes yeux, guettant les lettres inopportunément dévoilées par ce résumé et par une traduction aléatoire du titre original (Four letters of love).

« La justice n’existe pas dans cette vie. Beauté, génie, intelligence, idiotie sont échus en partage aux méritants comme aux indignes ; on éteint la lumière et on s’endort dans la féérie de l’amour familial, doux cocon, et on se réveille, du jour au lendemain, dans les décombres de ce qu’on a tenu pour cher. »

On fait d’abord la connaissance de Nicholas, dont l’enfance au coeur de la banlieue dublinoise sera marquée par la révélation divine reçue par son père, et par le désespoir qui consumera sa mère. Dieu a en effet parlé à William Coughlan, et lui a intimé de tout quitter pour consacrer sa vie à la peinture. Entre admiration et angoisse, Nicholas grandit dans l’admiration de ce père qui ne reculera devant rien pour réaliser le grand dessein divin. Isabel vit quant à elle son enfance sur une petite île venteuse au large de Galway. Un jour son frère adoré est victime d’une attaque, et devient invalide, la faisant sombrer dans la culpabilité. Elle est envoyée en pension chez les soeurs, et grandit en attendant le grand amour.

« Il est si court l’éclat de l’amour que les leurres de la beauté, des promesses, du courage, de la jeunesse, résonnent comme un sarcasme des étoiles sans coeur. »

Quel lien unit ces deux enfants marqués par les tragédies ? Le roman, empreint de la beauté sauvage de la nature irlandaise et d’un catholicisme prégnant, est fondé sur les signes envoyés par la vie, ces petites coïncidences qui finissent par former un grand tout.  Il est question d’amour bien sûr, et des péripéties du mariage qui demandent tant d’efforts et de dévouement. Mais au-delà de ce thème, il faut le dire assez convenu, j’ai surtout aimé le traitement des relations filiales, en particulier celles de Nicholas et son père. Les deux points de vues, celui des enfants sur leurs parents et celui des parents sur leurs enfants, nous sont offerts, et j’ai trouvé qu’il s’agissait des passages les plus émouvants, emplis de non-dits, d’espoirs et d’amour.

« Il y a des choses qui ne se prêtent pas à être racontées. Mon père le savait, je crois, il savait que les mots parfois aplatissent les émotions les plus profondes, les épinglent, papillons dont le vol splendide s’engourdit et qui ne seront plus désormais que le lointain souvenir de ce qui naguère colorait l’air et le faisait palpiter comme de la soie. »

Malgré des qualités, je n’ai néanmoins pas été totalement convaincue par ce roman. Je pense que son principal défaut est un mélange des genres malheureux, ainsi que des choix de narration non totalement assumés. Il manque une certaine cohérence, quelque chose qui ancre davantage le récit. Ainsi on s’éloigne parfois du roman pour entrer dans le monde des contes et légendes, passant d’un quotidien excessivement ordinaire à un certain frôlement parfois du surnaturel, d’autant que rien n’est véritablement tranché entre religion et superstition, nous laissant osciller en permanence sans trop savoir ce qu’on est réellement en train de lire. Par ailleurs le style m’a laissée quelque peu perplexe, l’auteur nous offrant par moments des fulgurances de poésie magnifiques mais qui viennent se perdre dans un langage autrement assez commun, ce qui donne à ces phrases isolées un côté un peu artificiel, presque forcé. C’est comme si on les avait travaillées jusqu’à l’os pour en extraire la beauté, mais au détriment du reste du texte qui semble par comparaison banal et convenu. Quant à l’histoire, j’avoue avoir été peu touchée. L’émotion affleure par moments mais elle est trop appuyée, trop insistante et finit par devenir fade. Il a manqué un petit quelque chose à ce récit pour m’emporter véritablement.

En définitive il s’agit d’un roman singulier, assez triste, qui pour ma part manque un peu sa cible mais qui n’est pas exempt de beauté.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

 

 

 

Éditions Points, traduit par Josée Kamoun, 17 janvier 2019, 408 pages

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