
Quatrième de couverture :
« Dans une de nos villes de la Nouvelle-Angleterre, le long d’une petite rue, se dresse une maison de bois toute délabrée, coiffée de sept pignons pointus tournés vers différents points de l’horizon, disposés tout autour d’une énorme cheminée… Cette vénérable demeure m’a toujours fait l’effet d’une physionomie humaine, portant non seulement les traces du soleil et du vent du dehors, mais aussi celles des longues années de vie mortelle dont toutes les vicissitudes se sont écoulées en elle. »
« Ne serons-nous jamais débarrassés de ce Passé ? Il pèse sur le présent comme le cadavre d’un géant. »
Mon avis :
On parle de ce roman comme d’une histoire de maison hantée, et d’une contribution de Nathaniel Hawthorne, auteur de l’incontournable Lettre écarlate, à la littérature fantastique. Pourtant si le surnaturel est omniprésent dans ce roman, il est bien plus évoqué qu’il ne se manifeste réellement.
Après un long chapitre préliminaire qui retrace l’histoire de la famille Pyncheon, on comprend tout de suite que cette fameuse maison aux sept pignons est maudite. Elle a en effet été bâtie sur un crime : la terre sur laquelle elle se trouve faisait l’objet d’un litige entre le riche colonel Pyncheon, sûr de ses titres et de son aura, et le modeste Matthew Maule, premier occupant de ce sol. Profitant de l’atmosphère de suspicion régnant à l’époque, Pyncheon fit exécuter Maule pour sorcellerie afin de récupérer ce qu’il estimait être son dû, mais pas avant que le malheureux ne fasse une terrible prophétie à son ennemi : « Dieu lui fera boire du sang! ». Le jour de l’inauguration de la magnifique demeure aux sept pignons qu’il fit construire sur cette terre payée au prix fort, le vieux Pyncheon mourut ainsi en s’étouffant dans son propre sang. Une malédiction qui poursuivit la famille Pyncheon sur des générations, voyant non seulement cette mort atroce frapper le membre de la famille qui ressemblait le plus à l’ancêtre incriminé, mais périclitant de surcroit progressivement jusqu’à ne conserver que peu de descendants et de richesse.
« On dirait que la voix a été teinte en noir, ou pour prendre une image moins extrême, ce terrible croisement qui en affecte toutes les expressions ressemble à un fil de soie noire sur lequel seraient enfilées les pierres de cristal de la parole, et qui leur donnerait ainsi sa couleur. De telles voix portent le deuil des espoirs défunts et devraient être enterrées avec eux. »
L’intrigue concerne les tout derniers : Hepzibah, une vieille femme enfermée dans la solitude, le chagrin et la rancune, rejointe à la maison des sept pignons par son frère Clifford, emprisonné pendant des décennies pour un crime qu’il jure n’avoir jamais commis, et par la jeune Phoebé, seul vestige de la jeune génération Pyncheon, qui a quitté la campagne pour habiter auprès de ses vieux cousins. Il y a également leur cousin Jarvey, l’héritier de la fortune familiale, un richissime juge dont la bienveillance apparente cache une sombre personnalité, et qui a la particularité de porter les mêmes traits physiques que l’illustre aïeul. À cette petite compagnie vient s’ajouter un jeune photographe, Mr Holgrave, à qui Hepzibah loue le pignon nord et qui se pose en observateur des dynamiques familiales.
« Toutes ces histoires qui gardaient dans sa mémoire un peu de chaleur des veillées de coin du feu auxquelles elles étaient associées, lui revenaient maintenant, sombres, effrayantes, glaciales, comme la plupart des histoires de famille lorsqu’on les ressasse un jour de mélancolie. L’histoire des Pyncheon n’était qu’une série de calamités se reproduisant à chaque génération, toutes de la même teinte obscure, et sans grandes variantes. »
Mais alors, où est le fantôme ? Partout et nulle part en réalité. Il est dans le portrait du vieux Pyncheon, qui avait donné l’ordre de ne jamais décrocher le tableau du mur de son bureau, et qui glace les sangs de quiconque pose les yeux sur la toile maudite. Il est dans les histoires que l’on raconte sur ces membres décédés de la famille Pyncheon qui se réuniraient dans le petit salon à minuit précise. Il est dans cette mort sanglante qui semble poursuivre les héritiers Pyncheon génération après génération. Il est omniprésent dans les histoires et les légendes qui persistent sur la famille Pyncheon, ainsi que sur celle de la famille ennemie, les Maule : ainsi le clavecin réputé hanté de la douce Alice Pyncheon n’a-t-il plus jamais servi, ou encore la prétendue sorcellerie attribuée aux hommes de la famille Maule, capables de soumettre leurs victimes à leur pouvoir de suggestion. Et enfin le fantôme est partout dans cette demeure sombre, pleine de courants d’air, aux boiseries pourrissantes et grinçantes, au jardin peu entretenu et dont la source d’eau est réputée empoisonnée.
« Rien ne révèle mieux la décadence morale que la perte, définitive ou temporaire, de la faculté de s’habituer à l’inhabituel, de marcher de pair avec le temps qui passe si vite ; car si cette faculté disparaît tout à fait, à quoi bon l’immortalité ? Quand cette calamité nous frappe, nous ne sommes plus que des fantômes dans le temps présent ! »
Le récit est extrêmement lent, je me suis étonnée arrivée à la moitié du roman qu’il ne se soit toujours pas passé grand chose. C’est que l’auteur s’attache à décrire une ambiance et à dessiner avec une précision minutieuse les portraits de ses personnages. La menace qui plane est sourde, et l’emprise de la maison sur ses habitants profonde. Si le style de l’auteur est tout à fait extraordinaire (et servi par une traduction d’une qualité irréprochable), je n’ai pu m’empêcher de sombrer parfois dans un certain ennui, désespérée à l’idée qu’il se passe enfin quelque chose de notable. Ma soif de sensationnel a en effet quelque peu été déçue par cette histoire de malédiction qui distille lentement son poison. Nathaniel Hawthorne dénonce avant tout la société de la Nouvelle-Angleterre au XIXe, son puritanisme, son hypocrisie et ses superstitions, et souligne par ailleurs le déclin de ces familles de haute naissance et l’héritage parfois pesant que l’on reçoit de ses ancêtres.
Ma note (3 / 5)
Éditions GF Flammarion, traduit par Claude Imbert et Marie Elven, 12 janvier 2011, 448 pages