La maison du splendide isolement – Edna O’Brien

Résumé de la quatrième de couverture :

Dans une grande maison délabrée, isolée dans la campagne irlandaise, vit Josie, une vieille femme malade et seule qui ressasse le passé et une lancinante culpabilité. Lorsque McGreevy, traqué par toutes les polices, fait intrusion chez elle, c’est toute la violence de ce pays déchiré qui fait de nouveau irruption dans sa vie. Il combat dans la clandestinité pour l’Irlande réunifiée. Elle refuse d’accepter la légitimité d’un conflit qui ajoute le sang au sang.

« L’Histoire est partout. Elle s’infiltre dans le sol, le sous-sol. Comme la pluie, la grêle, la neige, le sang. Une maison se souvient ; des remises se souviennent. Un peuple rumine. Le conte diffère selon le conteur. »

Mon avis :

Voici à nouveau un roman irlandais puissant, qui renferme dans ses quelques pages toute la complexité de l’Irlande et de son histoire. Ce n’est pas tout à fait ce que j’imaginais ; je m’attendais en effet à un long huis clos entre une vieille femme et un homme de l’IRA, alors qu’en réalité la cohabitation en tant que telle n’occupe qu’une petite portion du roman. Mais ce dialogue, cette confrontation entre deux perceptions opposées, et surtout toute l’émotion concentrée dans les deux personnages principaux, en font un roman bouleversant.

« Le plus triste, c’est que nous avons la même origine, la même foi, parlons la même langue – et pourtant ce n’est pas le cas. Le langage de chacun est un braille que l’autre ne peut comprendre. Des mots comme justice, amour ou pain sont devenus réversibles. »

C’est le style qui interpelle tout de suite. Des phrases souvent courtes, lyriques, très imagées. On passe d’un personnage à un autre, et d’un moment à un autre, très rapidement, ce qui est parfois déconcertant quand on essaie de s’accrocher au fil de l’histoire. Il y a dans ce roman une kyrielle de personnages divers, donnant à entrapercevoir un aperçu de l’état d’esprit de chacun, sans jamais prendre réellement position : soldats de l’IRA, policiers irlandais, policiers anglais, mais aussi le tout un chacun : prêtre, voisin, femmes, enfants… Certains personnages sont plus sympathiques que d’autres, certains suscitent l’empathie malgré leur courte apparition dans le récit, d’autres sont si anecdotiques qu’on ne s’y penche pas véritablement.

« Ce que je voudrais dire me concerne. Quelque chose de profond, de difficile, à propos du passé et de la façon dont j’ai changé, dont nous changeons tous, nous endurcissons, extirpant de nous la moindre particule de douceur. »

Bien entendu, ce sont Josie et McGreevy qui occupent le devant de la scène, deux personnages si complexes qu’ils auraient pu à eux seuls donner lieu à un roman à part entière. En particulier Josie, dont l’histoire est la plus longuement racontée, et qui offre un portrait de femme irlandaise poignant. C’est une vieille femme, malade, vivant seule dans une grande maison obscure. Elle se souvient de son départ pour Brooklyn, puis de son mariage malheureux avec James, de l’absence d’enfants. Hantée par les regrets et la culpabilité, elle est en réalité heureuse de se voir bousculée par l’irruption de cet homme inconnu, cagoulé, un soldat de l’IRA intimidant qui prend possession de sa maison et lui dicte des règles strictes. Ce sont deux points de vues opposés sur un conflit sanglant, mais plus profondément ce sont surtout deux solitudes qui se rencontrent, le temps d’une courte trêve.

« Du récent et du lointain passé remontent plaintes et grincements de dents. Tombes et tumulus et tombes nouvelles, et une statue et un oeillet teint pour marquer l’emplacement du carnage inattendu. Il pleure, oui, le pays pleure, guère surprenant. Mais on ne peut pas prendre la terre. Cela, l’Histoire l’a prouvé. Jamais on ne prendra la terre. Elle est là. »

La tension se maintient tout au long du récit, rejointe bien souvent par l’émotion suscitée par cette relation étrange et éphémère, jusqu’à une précipitation et une urgence dans les dernières pages que j’ai lues le coeur battant. Un roman incontournable, alliant la tendresse à la tragédie, et dont la parution en 1994, alors que le conflit était loin d’être terminé (le sera-t-il un jour ?), paraît extrêmement courageuse.

Ma note 4 out of 5 stars (4 / 5)

 

 

 

Éditions Sabine Wespieser, traduit par Jean-Baptiste de Seynes, 7 novembre 2013, 317 pages

2 commentaires sur “La maison du splendide isolement – Edna O’Brien

  1. Les citations sont magnifiques! Ce n’est pas le genre de livre que j’aurais lu a priori mais au fil de mes lectures, j’en ai conclu que du moment que la plume est belle, on peut tout lire! Merci pour cette belle découverte! Tu me fais voyager à chacun de tes articles.

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