
Résumé :
Rosie a huit ans, elle est fille de métayer ; quand elle sera grande, elle servira la famille Ennis, comme sa mère et sa sœur avant elle. Victoria a sept ans, elle est la fille de lord et lady Ennis ; quand elle sera grande, elle quittera le domaine d’Ennismore pour faire un beau mariage.
En attendant, Victoria se sent seule et rêve de partager ses secrets avec la fille du métayer qu’elle a rencontrée dans le parc de la propriété. Et pourquoi pas ? C’est décidé, dès septembre, la petite paysanne partagera les leçons de la demoiselle du château.
Mais, dans une société écrasée sous le poids des conventions et des hiérarchies, est-il bien raisonnable de semer des aspirations égalitaires dans le cœur des jeunes filles ? Car un vent de révolte souffle sur l’Irlande et cette amitié qui éclôt pourrait bien bouleverser leur vie ainsi que celle de leur entourage… Rosie et Victoria trouveront-elles la force de lutter contre la marche de l’Histoire qui menace de les déchirer ?
« Son Pa l’appelait toujours par son véritable prénom, Roisin, et ajoutait « Dubh ». Avec sa prononciation, cela donnait « Ro-sheen Dove », « Rosaleen la Noire » en irlandais, comme il le lui avait expliqué, et aussi qu’on appelait également l’Irlande ainsi. »
Mon avis :
Ce roman est une agréable surprise. J’étais un peu sceptique au début, ce n’est pas une lecture exigeante et le côté fleur bleue me faisait craindre une romance édulcorée et lassante. Mais je me suis laissée porter par ce roman, qui m’a finalement beaucoup émue.
Comme évoqué sur la quatrième de couverture, l’intrigue fait en effet beaucoup penser à Downton Abbey, avec des parallèles troublants, du moins dans la première partie qui se déroule dans une grande maison bourgeoise, Ennismore. Le récit alterne entre la famille et les domestiques, et on retrouve certains thèmes abordés par la célèbre série. Cette confrontation entre deux mondes est particulièrement illustrée par l’amitié entre Rosie, fille de fermier, et Victoria, fille d’un grand propriétaire terrien anglais. Une amitié improbable et vue d’un mauvais oeil tant par la famille d’aristocrates que par les employés de maison. Rosie quant à elle, se trouve dans une position inconfortable, tiraillée entre deux mondes sans appartenir à aucun d’eux. L’éducation qu’elle reçoit auprès de Victoria tout au long de ces années lui interdit de se conformer à l’avenir qui lui est tout tracé en raison de sa classe, un avenir au service d’une grande famille, d’autant qu’elle tombe amoureuse de l’un des fils. Tout cela serait décevant et revisité si le roman ne prenait pas tout à coup un nouveau souffle.
« À présent elle s’y sentait comme une étrangère. Elle pleurait la fille innocente qu’elle ne serait plus jamais. »
Car dans ce roman, ce n’est pas seulement une histoire de classe sociale qui se joue, mais aussi et surtout l’histoire de l’Irlande, et celle de cette impossible cohabitation entre Irlandais et Anglais. Le ton change sensiblement lorsque l’intrigue se déplace à Dublin, où Rosie, puis Victoria, vont s’installer. Les tensions que l’on sentait déjà chez les domestiques irlandais d’Ennismore, au service d’une famille anglaise, vont venir se concrétiser et s’accentuer, et le contexte historique qui sert de trame de fond au roman est aussi passionnant que terrible. Entre les lignes sont rappelés la Grande Famine, la confiscation des terres aux Irlandais, et l’on assiste aux travers des yeux des deux jeunes filles à la pauvreté des Dublinois, puis à la dramatique insurrection de Pâques, qui si elle a tourné en défaveur des nationalistes irlandais largement battus par une armée britannique plus qualifiée, a néanmoins constitué un tournant dans l’opinion. La répression démesurément sévère a érigé les perdants et les fusillés en véritables martyrs, et a durablement ravivé la cause indépendantiste.
« Mais c’était l’Irlande, le passé n’était jamais très loin du présent. »
Les personnages du roman sont très attachants, à commencer par nos deux héroïnes, Rosie et Victoria, qui appartiennent à des classes sociales diamétralement opposées mais vont chacune recevoir une dure leçon. Rosie en particulier est le symbole de l’émancipation féminine, et on aime la voir chercher avec courage une situation à la hauteur de son intelligence, sans considération pour les limitations de sa naissance. Les personnages secondaires sont foisonnants et particulièrement réussis également, faisant de ce roman une véritable saga. Les histoires d’amour sont un peu « faciles » et gentillettes, et on n’échappe pas aux clichés, mais ce n’est pas bien grave dans le fond. C’est profondément romanesque, et j’ai eu du mal une fois entamée à me détacher de ma lecture.
Ma note (3,5 / 5)
Éditions Belfond, traduit par Julia Taylor, 4 avril 2019, 416 pages