
Résumé :
De retour à New York après l’enterrement de leur père, dans le Minnesota, Erik Davidsen, psychiatre divorcé, et sa soeur, Inga, veuve dévastée et récente d’un écrivain célèbre, découvrent la lettre qu’une femme a jadis adressée au disparu et par laquelle ils apprennent que leur père aurait naguère été impliqué dans une mort mystérieuse. Dès lors, dans une Amérique toujours traumatisée par les événements du 11 Septembre survenus quatre ans plus tôt, tous les personnages qui gravitent autour de la famille Davidsen vont, de proche en proche, être amenés à se confronter à la part la plus opaque de leur être.
« Ma soeur l’appelait « l’année des secrets » mais à présent, avec le recul, j’ai fini par comprendre que ce temps n’était pas celui de ce qui était là, mais de ce qui n’y était pas. »
Mon avis :
Une élégie est un poème où prédominent la mélancolie et la tristesse. Et ce roman est effectivement un long cheminement, fait de souffrance et de questionnements, une quête identitaire, une réconciliation avec le passé et ses traumatismes. C’est la première fois que je lis un roman de Siri Hustvedt, et le moins qu’on puisse dire c’est que ce fut une lecture exigeante. Si je devais résumer, je dirais que c’est un roman sur les secrets, sur le deuil, et sur l’Amérique d’aujourd’hui, avec toutes ses contradictions.
« Peut-être avez-vous gardé au fond du coeur un secret que vous considériez, dans toute sa joie ou sa douleur, comme trop précieux pour être partagé avec qui que ce soit. »
Erik Davidsen, un psychiatre, vient de perdre son père d’une longue maladie. Il ne parvient pas à faire son deuil et souffre de l’absence de ce père qu’il admirait tant et à qui il continue de s’adresser. Un père qui pourtant semblait cacher des secrets. Erik se plonge dans la lecture des Mémoires qu’il a rédigées à la fin de sa vie, et repart sur les traces de l’homme qu’il était : jeune garçon travaillant dans la ferme ruinée, puis jeune homme parti à la guerre dans le Pacifique, et enfin l’homme transformé qu’il était devenu, un mari et un père, un professeur. Erik et sa soeur, Inga, trouvent également une lettre en triant les affaires du défunt, écrite par une certaine Lisa et évoquant une mort mystérieuse. Ensemble ils tentent de lever le voile sur le passé, et ce qu’ils découvrent ne leur apprendra pas tant sur leur père que sur eux-mêmes. En parallèle, Inga tente toujours, plusieurs années après sa mort, de faire le deuil de son mari, un grand écrivain. Quand on la fait chanter à propos de lettres que son époux aurait écrites à une autre femme, elle perd pied et s’interroge sur cet homme qu’elle croyait connaître. Tout comme sa fille, Sonia, qui se débat également toujours avec ses souvenirs traumatisants du 11 Septembre. Et tout ceci n’est qu’une partie du maillage compliqué de ce roman qui voit se mêler plusieurs destins, plusieurs êtres qui tentent désespérément de trouver un sens à leur existence et au monde qui les entoure.
« Pendant que je me préparais à me mettre au lit, ce soir-là, le vieux mantra échappa plusieurs fois à mes lèvres. Il venait sans y être prié, comme toujours, et je me sentais gêné, comme s’il y avait eu dans ma chambre un inconnu pour entendre mon refrain : Je me sens si seul. »
On se prend d’affection pour le narrateur, Erik, qui paraît à la fois omniprésent et en retrait, comme s’il observait les scènes de ce grand théâtre qu’est la vie se dérouler devant ses yeux. La fracture qu’ont représenté pour lui son divorce, puis la perte de son père, le rend extrêmement touchant, malgré ses introspections sans fins et ses débats théoriques intérieurs quelque peu tortueux. Autour de lui gravitent essentiellement des femmes : sa soeur, sa nièce, sa mère, la fameuse Lisa, sa voisine Miranda, la fille de cette dernière Eggy, sa collègue de travail, ses patientes… Et le lien qui l’unit à chacune est finement analysé, décortiqué et examiné.
« Il est étrange que nous soyons tous obligés de revivre la douleur, mais j’ai fini par considérer cela comme une vérité. Ce qui a existé ne nous quitte pas. »
Convoquant les grands noms et les grandes théories de la psychologie et de la philosophie, ce roman dense aborde avec intelligence le deuil sous toutes ses formes : celui d’un père, d’un mari, d’un oncle, d’un personnage, mais aussi celui d’un monde perdu, de l’enfance, d’une illusion… Toutes ces formes de deuil finissent par se rejoindre et donner lieu à une seule et même histoire. Les réflexions sur la mémoire, sur les rêves et l’inconscient, sur le poids du passé et la place des fantômes dans nos vies, sont passionnantes. Et cela vaut le coup de s’accrocher un peu malgré des passages un peu rudes, ne serait-ce que pour les dernières pages qui sont une véritable merveille littéraire…
Ma note (4 / 5)
Éditions Babel, traduit par Christine Le Boeuf, avril 2010, 401 pages
Un commentaire sur “Élégie pour un Américain – Siri Hustvedt”