
Résumé :
Rosamond vient de mourir, mais sa voix résonne encore, dans une confession enregistrée, adressée à la mystérieuse Imogen. S’appuyant sur vingt photos soigneusement choisies, elle laisse libre cours à ses souvenirs et raconte, des années quarante à aujourd’hui, l’histoire de trois générations de femmes, liées par le désir, l’enfance perdue et quelques lieux magiques. Et de son récit douloureux et intense naît une question, lancinante : y a-t-il une logique qui préside à ces existences ?
« Une photo, finalement, c’est bien peu de chose. Elle ne peut capturer qu’un seul moment, sur des millions, de la vie d’une personne, ou de la vie d’une maison. Quant aux photos que j’ai sous les yeux, elles n’ont de valeur que dans la mesure où elles corroborent ma mémoire défaillante. Elles sont la preuve que les choses que je me rappelle se sont vraiment produites, qu’elles ne sont pas des souvenirs fantômes ou des chimères, des fantasmes. »
Mon avis :
J’avais déjà lu ce roman il y a plusieurs années, et au moment de choisir cinq titres pour le thème des soirées « Livres et Parlotte » du mois de mars, qui portait sur les secrets de famille, je n’ai pas pu résister à l’envie d’y inclure celui-ci, ne serait-ce que pour me donner une bonne raison de m’y replonger.
J’ai à nouveau beaucoup aimé ce roman, qui frappe déjà par la singularité de la forme. Rosamond vient de mourir, et elle a laissé quatre cassettes destinées à une certaine Imogen, dont tout le monde a perdu la trace. Dans ces cassettes, elle s’efforce de raconter à Imogen son histoire à partir d’une série de photos qu’elle décrit minutieusement. Vingt photos très exactement, et autant de chapitres, qui vont décrire la rencontre de Rosamond et de sa cousine germaine Beatrix, leur amitié improbable et quelque peu toxique, ainsi que la suite d’événements ayant conduit à la naissance de la fille de Beatrix, Thea, puis à son tour d’Imogen, la fille de Thea. Vingt photos cela paraît bien dérisoire pour raconter une vie, et a fortiori trois générations. La démarche de Rosamond n’est pas très claire au début, qui est Imogen pour elle, et surtout, pourquoi a-t-elle besoin de lui raconter toute cette histoire, son histoire après tout ? Tout ce que l’on sait d’Imogen au début du roman, c’est que Rosamond l’a connue petite fille, qu’elle ne vivait pas avec ses parents biologiques, et qu’elle est aveugle.
« La vie ne commence à avoir un sens qu’en admettant que parfois, souvent, toujours, deux idées absolument contradictoires peuvent être vraies en même temps. »
Gill, la nièce de Rosamond et son exécutrice testamentaire, s’efforce de retrouver Imogen. Après quelques mois de recherches infructueuses, elle décide d’écouter les cassettes en compagnie de ses deux filles, intriguées par le mystère que souhaitait dévoiler la vieille dame, dont la voix vient soudainement emplir la pièce de ses révélations. Petit à petit se déroule donc l’histoire de trois générations de femmes, et celle de Rosamond par télescopage, sorte de dommage collatéral vivant en périphérie de cette famille. Trois générations marquées par les mêmes souffrances, en particulier le désamour maternel. Les relations mère-fille sont en effet intimement explorées dans ce roman, ainsi que leur impact lorsqu’elles sont faites de violences et de maltraitances. Tout commence avec Beatrix, une fille mal aimée, dédaignée par sa mère, puis une femme dérangée et colérique, qui fera subir le même traitement à sa propre fille, et ainsi de suite comme une terrible et tragique litanie.
« Tout ce qui a abouti à toi était injuste. Donc tu n’aurais pas dû naître.
Mais tout chez toi est absolument juste : il fallait que tu naisses.
Tu étais inévitable. »
Ces souvenirs et ces réflexions sur la maternité et le poids de la transmission se densifient au fur et à mesure que les différents sentiments maternels sont explorés, ceux des principales intéressées bien sûr, mais aussi ceux que Rosamond aura l’occasion d’éprouver alors qu’elle n’aura elle-même jamais d’enfants, et ceux que Gill, en écho, entretient à l’égard de ses deux filles. L’histoire de Rosamond, spectatrice du drame intime des autres, est très émouvante, et pas si secondaire qu’il n’y paraît. Cette enfant contrainte de vivre chez son oncle et sa tante durant le Blitz, qui reporte toute son affection et sa confiance chez sa cousine, tout en pressentant déjà chez cette dernière une personnalité complexe et manipulatrice ; puis cette jeune femme, évoluant dans un monde encore trop empreint de préjugés, maternelle sans qu’on ne lui accorde jamais le droit d’avoir un enfant à elle. Lorsqu’elle raconte l’histoire à Imogen, elle s’efface, et pourtant sa présence et ses émotions sont les plus perceptibles.
« Le sens qu’elle recherchait était perdu. Pire encore : il n’avait jamais existé. C’était impossible. Ce qu’elle espérait trouver n’était qu’une chimère, un rêve, une chose irréelle : comme la pluie avant qu’elle tombe. »
Ce qui parcourt ce roman, c’est aussi cette série de hasards, de circonstances qui semblent se répéter de génération en génération. Les femmes de ce roman s’interrogent sur le poids de la famille, des secrets, des événements du passé sur les enfants, puis les petits-enfants, cherchant à débusquer une grande révélation sur le cycle de la vie et les coïncidences qui n’en sont au fond jamais. Avec une grande finesse psychologique et beaucoup d’émotion, Jonathan Coe s’attarde sur tous ces fils invisibles qui relient les membres d’une même famille entre eux, ces liens qui existent malgré la distance, la violence et les blessures.
Ma note (4 / 5)
Éditions Folio, traduit par Jamila et Serge Chauvin, 1er avril 2010, 272 pages
Un commentaire sur “La pluie avant qu’elle tombe – Jonathan Coe”