
Je connaissais le film, bouleversant, de Claude Sautet, mais ignorais qu’il était inspiré d’un livre. Tout au long de ma lecture mon esprit vagabondait vers Michel Piccoli et Romy Schneider, et j’entendais « La Chanson d’Hélène ». L’histoire est peu ou prou la même, bien que le réalisateur ait pris quelques libertés.
Le récit est court, une centaine de pages à peine. Pierre Delhomeau, avocat, est parti de Paris pour plaider à Rennes, au volant de sa MG. Tout en conduisant, son esprit vogue par association d’idées. Du parfum d’herbe coupée à son amour d’enfance. D’un air à la radio à son rendez-vous à Rennes. Du paysage à sa vie conjugale, à Hélène. Les choses de la vie.
Sa voiture roule à 140 km/h quand elle aborde le grand virage du lieu-dit La Providence. Et c’est l’accident. Dix secondes seulement se sont écoulées entre l’instant où la MG entame le virage et celui où elle brûle sur le bas-côté, dix longues secondes lentement décortiquées au fil des pages, insoutenables pour le lecteur tant elles fondent vers l’inévitable. La radio diffuse une chanson de Charles Trenet, Retour à Paris, cruel hasard.
Je pense anormalement vite, le monde extérieur ne parvient pas à me rattraper et c’est mieux ainsi
J’aime énormément ce style d’écriture dans les romans, en immersion dans l’esprit du narrateur. Immédiatement je me sens en symbiose avec le personnage et j’ai l’impression de ressentir ce qu’il ressent, de parfaitement suivre le fil de ses pensées. C’est aussi pour cette raison que j’ai trouvé les pages concernant notamment l’accident, qui se déroule très lentement, difficiles à lire. Tout au long des pages, le temps est celui des pensées de Pierre. Le temps de se voir mourir, le temps d’être assailli par des souvenirs que l’esprit sélectionne sans même y penser, le temps des regrets, le temps de se pencher sur l’essentiel de la vie. Le temps de ces quelques minutes de vie qui lui reste, il va tour à tour se croire condamné puis de nouveau espérer. Il ne serait pas exact de dire qu’au seuil de la mort il voit défiler sa vie comme on l’entend souvent. Son esprit se trouve plutôt dans un tourbillon de souvenirs des choses de la vie, des choses de sa vie. Ces mille et une choses qui font qu’elle vaut la peine d’être vécue, et dont on s’aperçoit trop tard.
Je n’étais pas préparé à ce voyage et je rassemble au hasard des bagages dans lesquels j’oublie l’essentiel. Ces souvenirs que j’entasse à la volée je ne les choisis pas, ils s’offrent
Et il y a cette lettre, écrite à Hélène, dans sa poche. Il ne cesse de penser à l’éventualité qu’Hélène la retrouve, alors même qu’il ne pensait aucun mot, ou plutôt, qu’elle ne correspond plus à ses sentiments présents. L’histoire d’amour, prédominante dans le film, est ici davantage de côté, si ce n’est cette inquiétude lancinante de Pierre à l’idée qu’Hélène lise la lettre et se méprenne sur ses sentiments pour elle, et sur leur couple, sans qu’il n’ait plus la possibilité de la démentir.
On devrait brûler toutes les lettres de ce genre. Elles mentent toutes par anachronisme. Elles témoignent d’états d’âme ou du coeur trop mouvants pour n’être pas périmés, contredits à l’instant même où l’on trace la dernière phrase.
Ce « mais » est ignoble. Je t’aime sans « mais », sans « si », et sans « pourquoi ». Je t’aime comme mon pain et mon sel, je t’aime, mon coeur.
Ces quelques pages pourraient être d’une banalité confondante. Mais on aurait tort de les considérer comme une énième leçon de morale, un carpe diem usé tellement il est répété à tout va. Ce roman serait en effet banal s’il n’était pas profondément choquant par la violence de l’accident et la rapidité avec laquelle on bascule de la vie à la mort. Et profondément émouvant par ces quelques minutes de lucidité sur une vie, écrites par un écrivain marqué par son propre accident de la route. C’est une exhortation à prendre le temps de regarder autour de soi, mais dans le même temps à se focaliser sur ce qui est important et à aimer, sans conditions ni fioritures. Une exhortation à prêter attention aux choses de la vie.
L’inattention des vivants est confondante. En fait, on ne voit que ce qui s’inscrit dans le champ des oeillères de nos préoccupations du moment.
Et pour clore cette chronique en musique, une vidéo de Romy Schneider et Michel Piccoli enregistrant « La Chanson d’Hélène ».
Ma note (4 / 5)