D’allumettes et d’écailles – Berta Marsé

Première incursion avec ce roman intrigant dans l’oeuvre de Berta Marsé, fille du célèbre écrivain Juan Marsé et surtout connue pour ses nouvelles aux allures de fables.

Dési et Yési, deux jeunes filles nées en 1992 à quelques jours d’écart, deux gémeaux olympiques, sont voisines, amies, rivales. Leur relation est difficile à définir tant leurs mères, très liées, les ont obstinément poussées l’une vers l’autre, alors qu’elles n’avaient rien en commun. Elles grandissent ensemble, amies de circonstance sans jamais réellement être intimes, et Dési s’agace de cette fille parfaite, élève modèle, sportive, mannequin junior à ses heures perdues, que sa mère lui renvoie constamment comme modèle. Et puis un soir de juin 2008, Yési disparait. Envahie par la culpabilité d’être « celle qui est restée », Dési peine à tourner la page, s’enfonce dans les troubles alimentaires et la dépression avant de lentement refaire surface, s’obligeant à nouer des relations sociales avec les filles populaires du lycée et à sortir avec un garçon. Mais voilà que cinq ans après sa disparition, Yési revient tout à coup, sans parler à personne de ce qu’il lui est arrivé. Elle n’est plus que l’ombre d’elle même, taiseuse, maigre et brisée. Quelques mois plus tard, c’est en prison que l’on retrouve une Dési solitaire, aux prises avec l’angoisse, et qui s’attelle à raconter son histoire dans le cadre d’un atelier d’écriture.

« Naître la même année, sous le même signe du zodiaque, habiter dans le même quartier, aller à la même école, fréquenter le même parc, les mêmes places, les mêmes commerces ne sont pas des raisons de nouer une étroite amitié. Tout juste une amitié circonscrite à un espace et un temps, inéluctable, comme une sorte de tare génétique. »

Le roman dessine le portrait de l’adolescence à l’ère des premiers réseaux sociaux, mais aussi un instantané particulièrement réussi de l’Espagne des années 2000 : la bulle immobilière, la crise économique, les idoles pop qui se défont, les Indignés qui occupent les places, les malheurs interminables de la Pantoja, les revendications indépendantistes de la Catalogne… Le style est épuré et la tension s’installe dès les premières lignes, même si on s’agace un peu alors que les pièces du puzzle mettent du temps à s’assembler et qu’on peine à comprendre ce qu’il s’est réellement passé. Le récit est addictif, macabre, explorant des thèmes qui rappellent quelque peu les écrits de Laura Kasischke (l’adolescence, la vie étriquée des banlieues, la féminité…), et la narratrice/protagoniste est particulièrement intéressante. Le lecteur aura bien du mal à la cerner ; c’est clairement une jeune fille isolée, perdue, assez dénuée d’empathie, malmenée par ses angoisses, écrasée par une mère qui tente de tout contrôler, bref, une héroïne étrange à laquelle on a du mal à s’attacher. De même qu’à Yési d’ailleurs, un peu agaçante dans sa perfection avant qu’elle ne disparaisse, et un peu repoussante lorsqu’elle revient si transformée.

« Le hasard ne peut ni se prévoir ni s’éviter, et le destin n’est écrit nul part parce que, entre bien d’autres choses, il dépend du hasard. Et le hasard a ses propres lois. »

C’est un bon roman, fourmillant de promesses et de détails, mais auquel pourtant il manque un petit quelque chose. Cela m’a semblé confus, ce que n’arrange pas la narration déstructurée, et en lisant les dernières lignes il y a un goût de trop peu, d’inachevé. Il m’a manqué quelques pages, un peu plus de profondeur dans l’histoire de ces deux filles dont les destins s’entrecroisent et qui demeurent finalement très (trop ?) mystérieuses. Une petite frustration donc mais je guetterai avec un grand intérêt les prochains textes de Berta Marsé.

Ma note 3.5 out of 5 stars (3,5 / 5)

Éditions Christian Bourgois, traduit par Jean-Marie Saint-Lu , 12 mai 2022, 224 pages 

Laisser un commentaire