
Résumé :
Un matin d’octobre, sans un mot, Sam est partie. Depuis, le père de Tobias, cinq ans, dérive. Jusqu’au jour où il se décide à lâcher sa bouteille de whisky pour embarquer son fils à bord de sa vieille Honda. Destination : « Slutten av verden », le bout du monde en norvégien. Là où Sam s’en est allée. Pour atteindre cet ailleurs si lointain, il leur faudra franchir les steppes lapones et les rivières glacées, affronter des ours, des élans et une pluie de poissons morts.
« Écrire est respirer. Manger. Survivre. Je n’attends plus des mots qu’ils donnent un aperçu de la vie. J’attends d’eux qu’ils me la sauvent. »
Mon avis :
Vous reprendrez bien une bouffée d’air frais ? Dans ce roman qui suit les traces de Jack Kerouac, Jim Harrison ou encore Jon Krakauer, Christophe Ghislain nous emmène au bout du monde et de l’esprit d’un homme qui sent tout lui échapper.
Depuis que Sam est partie, Jerry noie son malheur dans l’alcool et peine à s’occuper de leur fils, Tobias. Un jour, il décide de tout plaquer et d’aller la chercher. Elle lui a dit qu’elle était à « Slutten av Verden », autrement dit le bout du monde. Pour y arriver ils seront contraints de traverser des paysages qui rivalisent de beautés et de dangers : la toundra, les plaines enneigées, les forêts denses, les rivières verglacées et les torrents emportant tout sur leur passage. En chemin ils rencontreront kyrielle de personnages hauts en couleur, abîmés par la vie, exilés dans ces paysages désolés. À commencer par ce vieil homme qu’ils croisent au début de leur périple et qui prétend s’appeler Walt Whitman. Le ton est donné.
« Sais-tu comment je suis mort ?
Non. Je n’en sais rien. Ce que je me demande, c’est comment tu vis. Et pourquoi. »
Il m’a d’abord fallu quelques pages pour m’habituer au style de Christophe Ghislain, qui est fébrile, bouillonnant, quelque peu hypnotique, mais aussi d’une beauté singulière, brut et épuré. Ce roman m’a bouleversée et je suis restée scotchée tout du long, happée par la magnificence des grands espaces qu’ils traversent, par la profondeur des personnages et par les réflexions poignantes de Jerry. Il a emporté avec lui un carnet et un crayon, et il écrit à la femme qui est partie. Sam virgule… et ensuite ? que peut-il lui dire ? Lui reviennent en mémoire leur rencontre, leurs disputes, leurs joies, ce mode de vie un peu bohème qui leur plaisait tant : aimer et rire sans se préoccuper du lendemain. Au fur et à mesure des pages, ce voyage prend un tour quelque peu hallucinatoire, l’absurde se disputant avec la poésie. Certaines scènes paraissent totalement irréelles, et les grandes diatribes de Walt Whitman laissent songeur. Est-il fou ? Ou a-t-il au contraire percé le secret de l’existence ? Ce vieil homme, qui prédit les pluies de poissons et ne se lasse pas de raconter sa mort, irrite Jerry, convaincu qu’il a perdu l’esprit. Il va se révéler pourtant un guide extraordinaire et indispensable.
« Les jours.
Ce sont de longues nuits blanches, et les nuits des gouffres sans fond. Les uns succèdent aux autres sans plus aucun lien avec le temps lui-même, qui est devenu une abstraction dépourvue de sens. Peut-être va-t-il de l’avant, peut-être rebrousse-t-il chemin ou peut-être pas, ou peut-être plus rien, peut-être n’est-il plus. »
L’important n’est pas la destination mais le voyage. Cet incroyable périple vers le bout du monde à la recherche de son amour perdu prend la forme d’une magnifique allégorie sur la quête de soi, mais aussi sur l’écriture. Celui qui voulait être écrivain et qui n’arrivait plus à trouver les mots va noircir avec ferveur les pages de son carnet. Au fur et à mesure de son avancée vers une destination incertaine, dans ce décor sauvage et hostile, Jerry réfléchit à l’amour, à la paternité, au sens de sa vie. Les souvenirs qu’il convoque ont eux aussi un caractère quelque peu chimérique, cette vie de couple qui semblait dépourvue de toute contingence matérielle, comme si l’amour balayait tout autour d’eux. Petit à petit, il va creuser sous la surface, reconsidérer ce qu’il avait négligé, et s’interroger finalement sur les véritables raisons du départ de Sam, celles qui prouvent que leur vie n’était pas si parfaite qu’il se plaisait à croire. Convoquant les plus grands noms de la littérature, américaine en particulier, il progresse dans sa connaissance de lui-même, au prix d’une introspection douloureuse et poignante.
« À tout vouloir se dire, à fouiller trop profond, on finissait par racler dans les zones d’ombre. »
J’ai adoré ce roman aux allures de fable qui m’a tour à tour fait rire et pleurer, servi par une lente montée en puissance qui nous entraîne malgré nous au loin, vers le bout du monde, dans cette marche acharnée vers l’espoir et la vie.
Ma note (4,5 / 5)
merci. (que dire d’autre?)
Troublant, émouvant, »Sam » prend aux tripes et ne lâche plus, Ce livre touche au plus profond, l’écriture est poésie. Une merveille qu’on dévore ou qu’on déguste… Oh non ! pas déjà fini !!!
« Sam » torche le cœur, rires et pleurs…
J’aime ce livre, j’aime le personnage « auteur » qu’on devine.
Merci Christophe