
Résumé :
Le baiser du Nouvel An était sans amour. Funèbre et froid, comme un hiver normand. Deux jours plus tard, par SMS, la femme pour laquelle il nourrit une passion depuis sept ans apprend à Pierre que tout est fini. Il est tout simplement rayé de la carte, effacé. « Ce genre d’amour qui meurt fait un bruit d’hôpital. »
Fin de partie ? Effondrement brutal. La mort rôde. Pierre pense mettre fin à ses jours. Il va plutôt venir à bout de ce chagrin, l’épuiser, le rincer – en marchant, en écrivant. Le triomphe de la littérature et du corps qui se révolte dans les ténèbres. La vie, tout au bout du chemin.
Mon avis :
Ce court roman est incroyablement bien écrit, les mots sont choisis avec précision pour qu’ils dévoilent tout leur sens. Malgré tout, il m’a laissée un peu perplexe.
Le 1er janvier 2018, Pierre reçoit un sms de sa compagne lui annonçant que leur relation est terminée. À partir de là s’ensuivent sept chapitres, un par mois, qui suivent sa lente reconstruction, grâce à la marche. Une marche au sens propre parce qu’il va se mettre à enchainer les kilomètres, d’abord près des rails d’une gare en raison de pulsions quelque peu suicidaires, puis dans la campagne normande au fur et à mesure que la dépression laisse place à une introspection et à un questionnement plus équilibrés. Mais c’est aussi, et l’image est quelque peu facile, un cheminement intérieur. En marchant il retrace le fil de ses pensées, de ses souvenirs, cherche des réponses à ses questions. L’auteur est-il le narrateur lui-même ? Il n’est nulle part mentionné qu’il s’agisse d’un roman, mais après tout peu importe.
« Quelques êtres rares sont capables de porter ce double mouvement : un sourire, une présence au monde, chevillés à un désespoir qui ne dira jamais son nom. Une lumière aussi vive qu’elle pouvait s’éteindre brutalement. »
Finalement c’est extrêmement banal. La douleur d’une rupture amoureuse, et les inévitables questionnements qu’elle suscite. Le ton est saccadé, rapide, il y a beaucoup d’interruptions, de ruptures et d’ellipses dans le récit, en fonction de ce qui lui vient à l’esprit, ce qui a tendance à perdre un peu le lecteur. Si au début ce type de récit ne m’a pas dérangée, y voyant au contraire une retranscription fidèle de la confusion de l’esprit d’un homme qui vient de vivre une épreuve, à mi-parcours cela m’a un peu lassée. Il n’y a pas vraiment de chronologie, pas de construction, pas véritablement de raisonnement. Pierre livre le flot de ses pensées telles qu’elles lui viennent, mais le lecteur est dépourvu de beaucoup d’éléments. À quel moment est-on au présent ou au passé ? Au début ou à la fin de leur relation ? Pourquoi ce souvenir d’enfance refait-il surface à ce moment précis et quel intérêt présente-t-il pour le récit ? Quelle était exactement la nature de la relation qu’il entretenait avec Ana, dont les autres compagnons sont mentionnés ici et là ? Parmi tout ça, l’auteur convoque également des écrivains, Proust, Flaubert, Camus… ou encore le cinéma, ce qui est certes érudit, mais finit par ressembler à un bric à brac de pensées éparses.
« La conquête de l’amour puis son agonie ont beaucoup changé. La réalité du désir n’en finit plus de cohabiter avec le risque permanente de la disparition. »
Ce livre ressemble à une thérapie, de la même manière que l’avait été la marche, une manière de mettre des mots sur ses maux, de faire le deuil d’une relation intense et compliquée. Il y a là quelque chose de fondamentalement impudique, ce qui en soi n’est pas un défaut dans la littérature, de nombreux écrivains se sont livrés entièrement dans leurs textes. Mais ce qui m’a frappée au fur et à mesure de ma progression, c’est mon impression que le lecteur n’avait pas sa place. S’adresse-t-on réellement à nous ? L’auteur convie son lecteur dans ses pensées les plus intimes, mais sans lui donner de clés, l’abandonnant là, hagard, tentant de démêler l’imbroglio que la rupture a provoqué dans son esprit, et que le narrateur lui-même est incapable d’ordonner. Il y a tellement d’ellipses, d’esquisses de souvenirs ou de sensations, qui n’appartiennent qu’à l’intimité du narrateur, que j’ai parfois regretté qu’ils soient ainsi offerts en pâture à un lecteur.
« Décidément, il faudra revenir aux lettres parfumées, aux départs sur les quais de gare. À la lenteur des amants qui ne sauront jamais se quitter. Aux conversations sous la lampe. »
En revanche j’ai aimé les passages qui apportaient une réflexion plus profonde sur le lien entre l’évolution de notre société, et notamment l’évolution des technologies, et les rapports humains. Cela va au-delà d’une simple complainte sur un regretté « monde d’avant » où tout aurait été beaucoup mieux qu’aujourd’hui. C’est une réflexion sur la vitesse, l’instantanéité, l’éphémère qu’ont introduits Internet et les téléphones portables, et qui ont logiquement eu un impact conséquent sur notre façon de concevoir notre rapport aux autres. Aujourd’hui on quitte quelqu’un sur un simple sms, quelques mots qui clignotent sur un petit appareil électronique. Et finalement on séduit aussi de la même façon. Il y a un paradoxe incroyable entre les moyens toujours plus nombreux de communiquer, et l’absence de plus en plus criante de communication, dans le couple et ailleurs. On communique vite et mal, de façon hachée, à distance, distraitement. De la même manière qu’il pleure la mort de son amour, le narrateur exprime aussi son regret de voir mourir une certaine façon de dire et faire l’amour, au profit de la facilité et de l’omniprésence de la technologie. J’ai trouvé ces réflexions particulièrement belles et pertinentes.
Ma note (3 / 5)