L’été de Katya – Trevanian

« A cette époque, je me sentais capable de tout. N’ayant rien entrepris, je n’avais aucun sens de mes limites. N’ayant rien osé, je ne connaissais pas de bornes à mon courage. »

Été 1914. Jean-Marc Montjean est un jeune médecin, tout juste diplômé après une année d’internat éprouvante dans un hôpital psychiatrique parisien. Le voici revenu sur ses terres natales basques, à Salies, où il officie dans une petite clinique thermale, auprès d’un médecin se vantant de traiter les « troubles » des femmes d’un certain âge. Son existence morne va être chamboulée par l’irruption de la jolie Katya, venue chercher des soins pour son frère jumeau Paul. Tous deux ont quitté Paris en compagnie de leur père, et habitent une maison un peu à l’écart de la ville, où règnent désordre et un certain délabrement. Très vite notre narrateur va tomber amoureux de Katya et s’intégrer à l’étrange vie de famille, malgré un malaise palpable, dont on ne sait réellement d’où il provient. Serait-ce de Paul, aux humeurs changeantes et capricieuses, qui tour à tour menace le jeune docteur, le défendant d’approcher de sa soeur, avant de le convier amicalement à leur table ? Ou bien Mr Treville, doux loufoque passionné par le Moyen-Âge et qui parait à peine se rendre compte de ce qui l’entoure ? Ou enfin Katya elle-même, qui cultive l’ambiguïté et ne dévoile pas ses sentiments ?

« Comme tant d’autres, je me laissais gâter par les munificences de l’été, venant à regarder cette suite ininterrompue de beaux jours comme le cours normal des choses et oubliant que le froid et l’obscurité sont les constantes du vaste univers, la lumière et la chaleur n’existant que dans le voisinage privilégié de minuscules étoiles. De même, la solitude et le renoncement sont les constantes de la vie humaine, tandis que la jeunesse et l’amour sont des instants fugaces dont la valeur réside dans leur fragilité même. »

Le récit progresse lentement, à mesure que nous faisons connaissance de ces trois personnages énigmatiques en compagnie du narrateur. Il comprend très vite qu’il plane un lourd secret sur cette famille, et tente en dépit de tout de le découvrir, tout en s’efforçant de protéger Katya d’une menace qu’il ne peut qu’imaginer. L’auteur distille une atmosphère lourde, qui contraste avec les premiers émois de notre héros, présageant également des heures funestes qui attendent l’Europe et que tout le monde tente d’oublier, le temps d’un dernier été. Il y a dans ce roman du Daphné du Maurier pour la maîtrise totale de l’intrigue et du suspense, du Stefan Zweig pour la psychologie des sentiments dépeints, mais aussi un peu du L.P. Hartley dans cette manière de fouiller la mémoire à la recherche des émois et souffrances du passé. Ce qui s’annonçait comme une romance héritée des grands classiques de la littérature, finit par prendre une tournure bien plus sombre et perturbante, dévoilant un roman d’une grande intensité psychologique.

« Ceux d’entre nous dont les existences sont entrelacées avec cette guerre voient leur jeunesse déposée sur les rives d’un continent qui s’éloigne, presque une terre étrangère, où la vie était vécue selon un rythme différent, et surtout dans une tonalité différente. »

J’ai adoré ce roman empreint de cette mélancolie si typique des récits de l’avant-guerre, cette période pleine de charme, d’insouciance et d’exubérance, mettant en scène les amours souvent platoniques d’une génération de jeunes gens sur le point d’être sacrifiés sur l’autel des grands desseins nationaux. L’immersion est complète également dans cette société de classe et de convenances, marquée par une misogynie écrasante et fort désireuse de cacher à tout prix les hontes du sexe faible. Enfin, il me reste à souligner la grande élégance de la plume de cet écrivain aussi mystérieux que son héroïne, et que je découvre avec ce roman ravageur.

Ma note 4.5 out of 5 stars (4,5 / 5)

Éditions Gallmeister, traduit par Emmanuèle de Lesseps, 3 juin 2021, 288 pages

5 commentaires sur “L’été de Katya – Trevanian

  1. J’ai regardé ce qu’avait écrit Trevanian suite à un post sur ce roman (le tien ou des éditions Gallmeister) et il est très intrigant ! J’aime beaucoup la grande diversité de ses oeuvres 🙂

    1. J’avoue que je ne connaissais pas du tout cet auteur mais il m’intrigue beaucoup à présent !

  2. Je n’avais jamais entendu parlé de cet auteur, je lis plutôt des autrices d’ailleurs. Je l’ai acheté à la suite de ta news letter de proposition de livres pour l’été, j’ai beaucoup aimé. Belle découverte

    1. Je l’ai lu la semaine dernière (dévoré est le mot juste) c’était une découverte de cet auteur dont j’ai adoré la plume! Mi roman d’apprentissage mi roman psychologique on se laisse porter sans savoir où ça va mener sinon à quelque chose de terrible…

Répondre à Charlotte ParlotteAnnuler la réponse.