L’été des oranges amères – Claire Fuller

« J’avais cru que cette vie d’excès me plairait, j’avais cru que j’aimerais le risque, l’aventure sans limites, mais j’appris combien il est terrifiant de tutoyer l’abysse. »

J’avais beaucoup aimé Un mariage anglais, et il me tardait donc de me plonger dans ce nouveau roman de Claire Fuller. Cette lecture est un peu une déception, je n’ai retrouvé ni la même qualité d’intrigue que dans le roman précédent, ni la même émotion.

Le récit alterne entre passé et présent, alors que Frances est une femme en fin de vie et qu’elle se débat avec les lambeaux de sa mémoire, tentant de reconstituer ce fameux été 1969 où tout a basculé. Elle avait alors 39 ans, sa mère, dont elle s’occupait, venait de décéder, et elle s’était vue confiée la charge inespérée de faire l’état des lieux d’un vaste domaine à la campagne. À son arrivée, la demeure des Lyntons est dans un état de délabrement avancé, ayant subi de lourdes destructions pendant la guerre, mais Frances se sent revivre. D’autant plus qu’elle fait la rencontre sur place d’un couple attirant et énigmatique : Peter et Cara. Tous deux s’empressent de l’inclure dans leur quotidien, lui faisant partager leurs diners, leurs ivresses, leurs promenades. Très vite Frances est sous le charme, délaissant sa rigidité coutumière et son travail pour des semaines de désoeuvrement en leur compagnie.

« Je ne pouvais m’empêcher d’avoir l’impression que cet endroit se jouait de moi, tentait de me rendre folle ou de me faire fuir. »

On sait très vite que ce tableau idyllique a des failles. Tout d’abord, on devine lorsque Frances évoque ses souvenirs qu’il s’est passé un drame, et que ce lent récit du déroulement de cet été n’est destiné qu’à reconstituer les contours de son issue. Ensuite il y a quelque chose de dérangeant dans ce couple et ses secrets, et chez Cara en particulier. Frances est estomaquée par ses jurons, ses crises d’hystérie, ses humeurs changeantes, mais aussi fascinée par sa sensualité et ses talents de conteuse, alors que sa nouvelle amie entreprend de lui raconter comment elle a rencontré Peter. Une certaine tension se met en place, et l’atmosphère se fait de plus en plus lourde, voire glauque par moments. Cara est tour à tour enjôleuse et humiliante envers Frances, ronde, esseulée et complexée. Peter demeure impénétrable, séduisant mais distant. Quant à Frances, elle attire tour à tour la pitié et le dégoût, ressassant de vieilles culpabilités et frustrations, et s’enfermant dans une obsession démesurée envers ses amis, jusqu’au voyeurisme malsain.

« Ce fut cet après-midi là qu’elle me dit que j’étais belle, et le temps d’un été, le temps d’un mois, je choisis de la croire. »

Le début du roman était prometteur, et les personnages intéressants. Mais c’est bien lent et long, Frances racontant repas après repas, promenade après promenade, au gré de ses impressions et du récit de Cara. J’ai attendu désespérément qu’il se passe enfin quelque chose de significatif, sans que cela n’arrive jamais ou presque, puisque les dernières pages nous précipitent quelque peu dans le dénouement. J’ai du mal à comprendre comment certaines critiques ont pu comparer ce roman à ceux de Daphné du Maurier, qui sont à mes yeux incomparables tant par le style que par l’histoire. En revanche, j’y ai retrouvé un peu de Shirley Jackson, et en particulier de La Maison hanté puisqu’il y a des ressemblances nombreuses et troublantes : Frances comme Eleanor ont la même personnalité complexée et fragile, et viennent toutes deux de perdre une mère tyrannique et abusive ; elles sont conviées dans une grande maison par un personnage périphérique afin d’accomplir une mission (psychologique chez Shirley Jackson, architecturale chez Claire Fuller) ; la maison en question est dotée d’une architecture étrange (on va jusqu’à retrouver le même escalier en métal branlant…) ; il s’y déroule des phénomènes étranges tels que des bruits et des apparitions fugaces ; et l’amitié même entre Frances et Cara ressemble énormément à celle liant Eleanor et Theodora, teintée d’ambiguïté, entre admiration, moqueries et cajoleries. Bien des points communs qui m’ont rappelée avec plaisir ma lecture de La Maison hantée, mais qui appelle à une comparaison pas toujours flatteuse pour L’été des oranges amères.

Un bilan donc en demi-teinte pour ce roman agréable à lire mais qui déçoit par une certaine absence de subtilité.

Ma note 3 out of 5 stars (3 / 5)

 

 

 

Éditions Stock, traduit par Mathilde Bach, 3 juin 2020, 416 pages

4 commentaires sur “L’été des oranges amères – Claire Fuller

  1. Dommage… J’avais entendu de si bonnes choses sur Un été anglais, et la couverture de celui-ci me tentait tellement que je pensais qu’il avait tout pour me plaire.
    Je crois que je vais prioriser d’autres lectures !

    1. Oui… j’en attendais peut-être trop après son précédent… C’est vrai que la couverture est belle !

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