I am, I am, I am – Maggie O’Farrell

Résumé :

Il y a ce cou, qui a manqué être étranglé par un violeur en Écosse.
Il y a ces poumons, qui ont cessé leur œuvre quelques instants dans l’eau glacée.
Il y a ce ventre, meurtri par les traumatismes de l’accouchement…

Dix-sept instants.
Dix-sept petites morts.
Dix-sept résurrections.

Je suis, je suis, je suis.
I am, I am, I am.

« Frôler la mort n’a rien d’unique, rien de particulier. Ce genre d’expérience n’est pas rare ; tout le monde, je pense, l’a déjà vécu à un moment ou à un autre, peut-être sans même le savoir. (…) Tous autant que nous sommes, nous allons à l’aveugle, nous soutirons du temps, nous empoignons les jours, nous échappons à nos destins, nous glissons à travers les failles du temps, sans nous douter qu’à tout moment le couperet peut tomber. »

Mon avis :

Une claque magistrale. Je pourrais m’arrêter là, tout ce que j’écrirai ensuite sera en-dessous de la vérité.

Après avoir publié de nombreux romans, tous plus émouvants et profondément humains les uns que les autres, Maggie O’Farrell se met à nu, et nous livre ici une part d’elle même. Ce récit autobiographique se découpe en 17 chapitres, sans chronologie ni ordre véritable si ce n’est une progression de la pensée, une réflexion sur les aléas de la vie, sur la minceur du voile qui nous sépare de la mort. Chaque chapitre concerne une partie du corps qui a été concernée par l’épisode dont il est question : le cou, les poumons, la tête, le ventre, le système sanguin… Le corps humain est si fragile, si exposé, qu’il parait presque anormal de ne pas se tenir constamment en équilibre entre deux eaux. Et en creux, tout au long de ces pages, est interrogé ce rapport entre l’enveloppe charnelle et la vie, entre le corps et l’esprit, entre ces différentes frontières. C’est incroyablement puissant.

« Je sentais le grain du bois à travers cette répétition infinie de points. J’entendais le frottement de mes cheveux contre l’intérieur de mon bonnet, je sentais le froid me pénétrer, me parcourir, je voyais le courant qu’il formait s’échapper de mon corps. J’avais simultanément conscience que le temps formait un vaste continuum et que celui qui m’était imparti était court, insignifiant. »

La mort. Encore un tabou sur lequel on ne veut pas trop s’appesantir. On détourne les yeux, mal à l’aise, comme si cela pouvait conjurer le sort. Pourtant Maggie O’Farrell revient sur 17 rencontres manquées avec la mort. En anglais, « 17 brushes with death », dont le sens se perd un peu dans la traduction. Ce sont les effleurements, les moments où la mort l’a frôlée. Mais ce sont aussi les démêlés, les prises de becs, ces moments où la vie se l’est disputée et a gagné, plus ou moins laborieusement. Une rencontre avec un meurtrier au détour d’un chemin, un avion qui entame une chute que rien ne semble arrêter, une bactérie contractée durant un voyage, un lanceur de couteaux dans un festival, une fausse couche… Certains épisodes lui ont paru légers, presque anodins, d’autres au contraire ont constitué des tournants drastiques dans sa vie, la changeant à tout jamais. Tous ont représenté 17 instants où tout aurait pu basculer. Cela parait énorme à l’échelle d’une vie entière, et pourtant si on y regarde de plus près, n’a-t-on pas tous connu de pareils instants, parfois sans même véritablement le réaliser ?

Il m’est extrêmement difficile de poser des mots sur ce livre hors du commun, que j’ai lu le coeur serré et le souffle court. Ces pages s’approchent de ce qu’il y a de plus intime pour la romancière, et cela a résonné, en écho, avec quelque chose d’intime et de profond chez moi. Cela aurait pu être une accumulation de faits anecdotiques s’il n’y avait cette écriture miraculeuse de Maggie O’Farrell, et son incroyable finesse psychologique.

« Le problème n’était pas que je ne tenais pas à la vie, mais plutôt que j’étais animée par une soif insatiable de connaître tout ce qu’elle avait à offrir. Avoir frôlé la mort à l’âge de huit ans a imprimé en moi une image positive – peut-être à tort – de la mort. Je savais qu’elle finirait par arriver, à un moment ou à un autre, mais cette perspective ne m’effrayait pas ; au contraire, sa proximité m’était presque familière. »

Nous nous trouvons tous à quelques battements de cils de la mort. Le nier reviendrait à se voiler la face, et s’y attarder outre mesure rendrait n’importe qui fou, tremblant à la seule idée de poser un pied devant l’autre. Maggie O’Farrell semble pourtant avoir développé une sensibilité particulière à ce type de moments si cruciaux. Ils nous sont livrés ici par bribes, nous laissant parfois un goût d’inachevé quant à la suite des événements, nous forçant à nous concentrer sur la question essentielle qui se trouve cachée, latente. Les époques se succèdent, elle est une enfant, une adolescente, une jeune femme, une mère. Parfois elle a juste eu de la chance, un instinct de survie incroyable, ou un ange gardien à ses côtés. On ne sait pas pourquoi elle a réussi à en réchapper, et elle ne s’appesantit pas sur la question non plus, ce n’est pas ça qui l’intéresse. Elle préfère se livrer à une introspection sans fard, se remémorer ses sensations, ses réflexions sur la vie, la maternité, l’amour, les voyages, le féminisme, la maladie… Une véritable démonstration littéraire, un livre magnifique et particulièrement pénétrant qui me hantera longtemps et qui m’inspire un respect éternel pour cette romancière d’exception.

Ma note 5 out of 5 stars (5 / 5)

 

 

 

Éditions Belfond, traduit par Sarah Tardy, 7 mars 2019, 256 pages

19 commentaires sur “I am, I am, I am – Maggie O’Farrell

    1. Merci 😉 Oui c’est une romancière exceptionnelle, j’aime tellement son style

  1. Il est dans ma PAL, j’ai lu quelques passages quand je l’ai reçu, je pense le lire très vite. Je reviendrai lire ta chronique ensuite.

      1. Voilà je l’ai fin hier à minuit, incapable de le lâcher, et c’est un grand choc littéraire, une claque. je ne sais pas si je vais réussir à en écrire une chronique intelligente, tant je suis bouleversée … j’ai corné des pages et des pages, et ça me donne envie de relire les romans de Maggie O’Farrell. Tu dois lire « Cette main qui a pris la mienne », je me rappelle avoir sangloté comme une folle en le lisant ..

      2. Il est sur ma liste ! 😉 Il me manque encore trois romans à lire de cette romancière, je les espace pour ne pas avoir fini trop vite..!

    1. C’est un livre très puissant, mais elle est surtout connue (pour le moment du moins !) pour ses romans, que je ne peux que te conseiller !

    1. Oui c’est vraiment le terme adapté, il est incroyablement puissant ! 😉

    1. Lorsque je l’ai trouvé en librairie, je l’ai tout de suite acheté en me souvenant de cette chronique. Et dévoré dans la foulée…
      Je n’avais rien lu de Maggie O’Farrell jusqu’ici et c’est une très belle découverte, un livre magnifique!

      1. Oh ça me fait tellement plaisir ! Ce livre est époustouflant…

  2. Lu et Adoré. J’avais justement en tête cette chronique lorsque, lors de ma première sortie librairie post-covid, je suis tombée nez à nez avec ce bouquin. Sans aucune hésitation je l’ai pris en main. Je l’ai acheté et, contrairement à ce que j’ai l’habitude de faire, je l’ai lu peu de temps après l’avoir acheté. Je pense, comme toi, qu’il est difficile de le décrire (bien que j’ai toujours du mal à décrire les livres que je lis, je suis toujours épatée de lire tes chroniques si bien construites et décrites). Bref, c’est un livre à lire. Je me réjouis de lire ces autres livres, puisque c’est par celui-ci que j’ai commencé 🙂 Merci.

    1. Merci beaucoup pour ton message, ça me fait très plaisir ! Je suis ravie que ce livre splendide ait conquis une autre lectrice !

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